Mirontaine sta leggendo

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Professeure des écoles par correspondance et lectrice passionnée autant en littérature de jeunesse qu’en littérature générale.

16 janvier 2014

Voilà bientôt quatre ans que ce livre est sur ma pile. J'attendais le bon moment pour lui, comme si de toute évidence un Jeanne Benameur ne peut me décevoir.
Tout de suite, la prose de Jeanne Benameur est au rendez-vous, ce style si particulier, fin et poétique. Il est tout simplement sublime ce livre, tant par le fond que par la forme.
Il évoque l'histoire de madame Lure, épouse modèle, soumise. Désormais veuve, madame Lure dépoussière les livres de son défunt mari, sans même les ouvrir. Ce sont les livres de monsieur et son plaisir personnel se résume à rêver au dessus des belles photos de revues touristiques. Elle se plait à imaginer des vies, en surface. Comme si les vies en profondeur offertes dans les livres n'étaient pas pour elle.

Elle vit dans le monde des apparences, du simulacre, s'accommode des petits gestes du quotidien, les mains emprisonnés dans ces gestes répétitifs de l'infiniment petit.
Et puis, elle rencontre Vargas, le nomade.Celui qui voyage comme tous les êtres de papier observés longuement dans les magazines. Les mains de madame Lure vont alors se libérer en offrant un livre à Vargas, en offrant du temps, de l'attention et de riches lectures. C'est le début d'une nouvelle vie tissée par les silences, les gestes de deux individus qui ne communiquent pas la même langue.
Jeanne Benameur en peu de mots, réussit à créer une histoire douce et belle. Ce livre est un grand, très grand coup de coeur. Lisez-le car mes mots sont si peu en regard de la délicatesse et l'élégance du texte.

la beauté terrible

Le Livre de poche

7,90
9 janvier 2014

Une autre biographie de Frida Kahlo, que dire de plus, qu'a-t-on encore à apprendre de cette grande artiste? Gérard de Cortanze raconte son histoire avec la somme des recherches documentaires, citant deci delà les publications de JMG Le Clézio, Hayden Herrera, Carlos Fuentes, Salomon Grimberg...
Cette biographie se lit comme un roman et on comprend davantage encore la corrélation entre la passion amoureuse qui unit Frida Kahlo à Diego Rivera et la création artistique qui en émane. Cependant, je n'ai pas beaucoup apprécié la narration. Le parti pris de Bernadette Costa Prades, en utilisant le tutoiement à son adresse, me séduit davantage.

Néanmoins, je retiens ce beau passage pour évoquer la mémoire de l'artiste :
"La peinture de Frida Kahlo, c'est un peu comme la biographie d'une âme qui nous serait offerte. Avec une totale impudeur, une artiste se dévoile, se met parfois en colère, exhibe son désarroi. Écorchée vive, fragile, Frida Kahlo est une singulière étoile filante qui comprend à mesure qu'elle peint que son art ne la protège pas mais la met à nu. Lentement, la peinture se retourne contre elle qui étale à la face du monde son corps mutilé. L'art décidément ne guérit jamais de rien. Tout juste pose-t-il des questions et entretient-il des blessures peut-être nécessaires. Mais il serait faux de ne voir en Frida Kahlo qu'un être à jamais blessé qui n'a peint que de "l'espoir sans espoir", de "la mort qui pense dans la tête". A la regarder de près, on est frappé par l'amour démesuré qu'elle inspire, sa joie de vivre, sa lumière affichée "comme un paon qui fait la roue".

8 janvier 2014

Je garde en mémoire un excellent souvenir du premier roman d'Anne Delaflotte Mehdevi "Fugue".
Je me réjouissais pour cette rentrée littéraire 2013 de retrouver cette plume si singulière et cette faculté à créer des univers qui vous emportent loin du quotidien.
C'est au Groenland, dans les étendues du Grand Nord que l'auteur nous emmène. On suit les pas de Landry. Il est paysan et s'attarde dans cette immensité blanche et naturelle parce que sur ses terres, personne ne l'attend. Le portrait de cet homme solitaire le rend très attachant.

Lorsqu'il évoque la société occidentale, il la compare à un siphon, un siphon qui a aspiré et aspire, à coups d'argent, de germes, d'alcool, de technologie, d'humanisme-alibi, tout ce qui a vocation à être aspiré, c'est-à-dire tout.
L'espèce humaine prend des risques, qu'elle paie, collectivement, ou paiera. Lorsque Landry retrouve ses terres, un nuages de cendres s'épaissit dans le ciel. A la manière de Lee Seung-U dans "Ici comme ailleurs", dans l'enlisement, il faut tout désapprendre de soi et des autres. Kafka et Camus s'invitent sous la plume d'Anne Delaflotte Mehdevi.
Un très bon roman sur le monde rural, sur la solidarité de l'homme face à la nature qui n'est pas sans rappeler le roman de Giono Batailles dans la montagne.
Un petit passage pour savourer l'univers chaleureux de ce roman malgré la catastrophe naturelle...
" La feue boîte de galettes bretonnes qui renferme maintenant les petits pavés de sucre tient la place d'honneur, au centre de la table. La boîte s'ouvre et se ferme maintes fois, du petit matin à l'heure du coucher, pour rabonnir un café, faire le petit canard dans la gnôle. Sa belle-fille prend des sucrettes, ersatz de sucre. Lucette fait mine d'être outrée de ces simagrées, mais profondément elle s'en moque, de cela et de beaucoup d'autres choses. Il y a longtemps que le sucre ne peut plus lui faire mal aux dents, elle porte un dentier. Pourvu qu'il y ait du sucre dans le sucrier et de l'électricité pour faire fonctionner son système de surveillance vidéo des étables, tout va bien."
L'environnement est un sujet à la mode, le considérer sérieusement une très vague option. Laissez vous emporter tel l'oiseau migrateur, le sanderling, au cœur de l'émerveillement que procure ce très beau roman.

Sarbacane

15,50
8 janvier 2014

"Ne te demande pas si tu dois vivre ou mourir- mieux vaut chanter." Proverbe Rrom.
L'histoire de Katarina est un joli conte initiatique. Elle quitte sa Roumanie natale pour rejoindre sa cousine à Paris et connaître les bancs de l'école. Gadji c'est le nom donné aux gens qui n'appartiennent pas à la communauté Rrom. La jeune narratrice ne souhaite pas s'affilier à cette catégorie là, mais espère seulement pouvoir aller à l'école.
On suit Katarina des camps de caravanes où elle a "grandi comme on respire". Lucie Land décrit avec beaucoup de justesse le quotidien de la communauté . La fratrie joue dans les décharges, le papa accordéoniste est souvent absent tandis que la mère rêve sa vie devant la télévision dans la caravane, ce petit écran qui lui coûtera la vie.

Katarina rêve d'une autre vie après le drame. Elle part pour Paris, devient sédentaire. Le bonheur, enfin ? Pas vraiment... Katarina va au collège mais s'interroge beaucoup sur cette société de consommation où l'hypocrisie règne.

Katarina gadjé parisienne ou résolument Rrom? Fuir la misère ne fait pas tout.Le roman exprime toute la question de l'identité au travers de ce voyage initiatique d'un peuple malmené par l'histoire. Katarina vit et devient au travers la boue un être épris de liberté, forte de ses rencontres.Adolescente subtile et révolutionnaire qu'il est intéressant d'accompagner au fil des pages du roman comme dans les pages noircies par les enfants du voyage que j'accompagne au quotidien.

8 janvier 2014

Lucia Antonia et Arthénice sont deux jeunes femmes funambules. Jumelles mais pas soeurs, non... elles sont juste nées le même jour. Dans le cirque d'Alcibiade, le grand-père de Lucia Antonia, elles marchent toutes les deux sur le fil... jusqu'à la chute mortelle d'Arthénice.
Lucia Antonia se voit contrainte de quitter le cirque. Sur une presqu'île, elle raconte des bribes de sa vie sous forme de fragments. Elle mène une double vie dans sa vie, double sang dans son cœur, la joie avec la peine, le rire avec les ombres.
La beauté du récit fragmentaire de Lucia Antonia nous émerveille. La parole d'une jeune femme endeuillée, taciturne. Lucia Antonia est comme le loup : le feu coule dans ses veines, il remonte aux yeux mais rien pour les lèvres. Elle passe du fil à l'encre dans une jolie prouesse poétique.

Daniel Morvan maîtrise l'art de la légèreté, de la beauté elliptique. L'amour réside dans les détails du quotidien auprès d'Arthénice avant que les cendres ne retombent sur elles.

Un joli livre onirique comme un subtil écho à "La Folle Allure de Christian Bobin".