• Conseillé par (Librairie La Grande Ourse)
    14 août 2023

    UNE BD DOCUMENTAIRE LUDIQUE ET INSTRUCTIVE

    Au commencement il y eut un documentaire sur France 2 « Histoires d’une Nation » de Françoise Davisse et Carl Aderhold. Quatre épisodes pour raconter la naissance de la nation française depuis 1870 « sous un jour différent, en y intégrant la participation des immigrés ». La Nation proclamée et revendiquée par la Révolution Française, n’existe pas réellement quand éclate la guerre de 1870. Clivée, scindée elle n’est en fait composée que d’étrangers, ceux-ci se définissant comme tous les individus ne faisant pas partie de la bourgeoisie dominante. Bretons, auvergnats, ouvriers sont ainsi des étrangers. La III ème République naissante sur les décombres d’un pays affaibli par ses divisions prend conscience de la nécessité d’une unité nationale. Commence ainsi le « Roman national », oeuvre fictive, faite pour agréger la nation, entité unie capable de lutter contre d’éventuels ennemis extérieurs. Nos ancêtres les Gaulois, l’école obligatoire pour tous, le Français contre les langues régionales, la Laïcité, se mettent en place et constituent encore aujourd’hui des socles de notre unité.

    « Q’est ce qu’être Français ?» devient ainsi un leitmotiv qui traverse le siècle et demi d’histoire nationale qui nous est narrée ici avec un prolongement tacite à cette question: « qui sont ceux que l’on va qualifier d’étrangers ? ». On découvre au fil du récit chronologique, raconté ici comme une histoire, que ces définitions de français et d’étrangers vont changer régulièrement selon les besoins de l’Etat. Nécessités ou non de main d’oeuvre, taux de natalité suffisant ou pas, vont guider les gouvernements successifs à encourager, ou pas ,la venue sur le territoire hexagonal de populations étrangères. Ainsi les conditions d’attribution de la nationalité française vont varier du « droit du sol » au « droit du sang », et inversement, le tout caché derrière un vernis idéologique opportuniste qui dissimule souvent des nécessités économiques.

    A la prise en considération économique et démographique de cette main d’oeuvre étrangère, s’ajoute un troisième facteur, politique et idéologique: la haine de l’immigré et son corollaire immédiat, le racisme. C’est le mythe de la France Eternelle inventé artificiellement à la fin du XIX ème siècle qui ressurgit utilement pour justifier le repli de la nation sur elle même. Elles s’accompagne parfois de fumeuses théories scientifiques faites pour justifier le racisme. Sébastien Vassant par des intermèdes instructifs, rappelle ces idéologies nauséeuses et leurs porte-paroles historiques.

    « L’ étranger », change lui aussi fréquemment. Fini le breton et Bécassine, c’est désormais l’allemand, honni, qui sert de point de départ au fondement du nationalisme, auquel succéderont le « macaroni, le « Polack", l'espagnol,
    l'arabe.

    A ce récit historique, le dessinateur ajoute quelques courts témoignages de personnalités ou d’anonymes, montre par des détails de la vie quotidienne que la France se construit chaque jour en amalgamant des idées et des individus différents. Il personnalise ainsi un récit global historique et lui donne une touche humaniste importante.

    Un quart de la population française actuelle trouve ses racines dans les pays étrangers, ce que la Bd précise utilement en citant nombre de personnalités de tous ordres d’origine étrangère de Marie Curie en passant par Yves Montand Georges Charpak ou Robert Badinter. Malgré cela, à chaque fait divers, à chaque élection, l’immigration devient un sujet majeur. La lecture plaisante de cet ouvrage didactique, rappelle pourtant combien ces flux migratoires sont souvent au départ désirés et encouragés avant de devenir encombrants quand l’économie n’en a plus besoin. On voudrait gérer la vie d’hommes et de femmes, comme des marchandises. Quitte parfois à ce cacher les yeux ou à laisser s’exercer la haine de ce qui n’est pas soi.