Le cherche-bonheur

Michael Zadoorian

10-18

  • Conseillé par
    27 mars 2013

    coup de coeur

    John et Ella sont un couple d'octogénaires. Il est atteint d'Alzheimer, elle souffre d'un cancer et se déplace désormais en déambulateur.

    Prétendre que John est légèrement sénile, c'est comme dire que j'ai un léger cancer.

    Malgré l'avis des médecins et de leurs deux enfants, Ella a décidé de sortir une dernière fois le Cherche-bonheur, ce camping-car qui les a menés sur les routes américaines et de faire la route 66 de bout en bout.

    Quelle femme que cette Ella et quel grand roman que celui-ci! Il regroupe des thèmes qui me sont chers et tant de phrases m'ont paru familières. La peur de vieillir mal (plus que celle de mourir) m'a toujours angoissée. Je crains la dépendance, la mienne et celle des autres. Ella ne la craint pas, elle la refuse tout simplement et elle finit sa vie qui peut paraître ordinaire sur une rébellion. Ce roman nous parle de l'acharnement à vouloir maintenir en vie:

    ...les toubibs aspirent à sauver les gens mais quand on parle d'un individu de quatre-vingt printemps, que reste-t'il à sauver bon sang? A quoi ça rime de la charcuter?

    Bien sûr, sur le principe, nous sommes sans doute tous d'accord mais Ella nous montre l'angoisse de ses enfants et on sait bien que nos parents, on a tendance à vouloir partager le plus longtemps possible des moments, mêmes difficiles, avec eux. Ella et John ont été très amis avec un couple dont la femme est morte et dont le mari a fini en maison spécialisée. John a alors fait promettre à sa femme de ne jamais le mettre dans une telle institution. De toutes façons, il avait dit qu'il se suiciderait avant. Mais comment se suicider quand on oublie où est l'arme et que quelques minutes après avoir pensé à un tel projet, on l'oublie même totalement? De moments tragiques, Michael Zadoorian fait des scénettes drôles et tendres et on se surprend à sourire. Quand John prend un jeune couple pour la famille de sa fille, c'est affreux et pourtant, ça devient un bel instant émouvant. Entre Ella, John et leurs enfants, les rôles sont désormais inversés. Ce sont les enfants qui menacent les parents de les dénoncer à la police s'ils n'arrêtent pas leurs bêtises mais de part et d'autre, on sent beaucoup de tendresse. J'ai beaucoup aimé la façon dont Ella parle de son rôle de parent:

    Les parents ont sans cesse l'obligation de démontrer qu'ils sont moins crétins que ce qu'imaginent leurs enfants, même lorsqu'ils sont sortis de l'adolescence.

    Il me restera de ce roman les soirées diapos porteuses de souvenirs,

    Ce soir nous projetons sur sur le flanc de notre camping-car des photos des enfants qui me manquent tant, qui me manquent depuis qu'ils ont quitté la maison il y a de ça plusieurs dizaines d'année (une phrase qui me donne les larmes aux yeux rien qu'à l'écrire)

    ou celle de John promenant toujours le même livre:

    Il doit avoir l'impression de le découvrir à chaque fois. C'est sûr, vu comme ça, nous faisons de grosses économies sur les livres.

    ou encore de John laçant les chaussures de sa femme sans qu'elle ne le lui ai demandé. Me restera surtout longtemps l'image d'une femme qui ne veut pas être séparée de l'homme qu'elle aime alors que la société ne peut lui offrir une autre solution. Il se trouve que l'an dernier, je me suis rendue compte, à travers un exemple concret, que deux personnes qui ont vécu toute leur vie ensemble peuvent être séparées faute de ne pas souffrir du même type de maladie. Ce roman a sans aucun doute touché des cordes très sensibles en moi et j'éprouve la même émotion à finir ce billet que je n'en ai eu à lire cette merveille qui est pour moi, avant tout, une superbe histoire d'amour ordinaire et l'histoire d'une femme qui se rebelle dignement contre notre société en choisissant sa vieillesse. Ceci-dit, ne craignez pas le pathos car il n'y en a pas dans ce roman, il y a de l'amour et une bonne dose d'humour. Et dire que la seule raison pour laquelle ce roman est arrivé entre mes mains, c'est parce que je l'ai échangé en vacances à l'hôtel où nous logions.