« Lucas ne parle pas. » Une phrase qui rythme ce court roman, intense, lumineux et bouleversant. Aurore, la narratrice, est la cadette de Lucas, ce frère lourdement handicapé, confié par les parents aux grands-parents comme un fardeau trop lourd à porter, qu’il faut partager mais aussi soustraire au regard des autres. Un frère adoré, le partenaire de tous les jeux d’Aurore, son double passif et silencieux dont elle veut croire dur comme fer à la guérison, pour ne pas sombrer dans le fameux cratère et pour combler le chagrin de ses parents, aimants mais incapables de communiquer. Alors Aurore en rajoute, surjoue la vie, survit, jusqu’à ce que, adulte, elle découvre, seule, la vérité. Il n’est pas chose aisée d’aborder le handicap et ses répercussions sur l’existence des proches sans butter sur l’écueil de la sensiblerie. Arielle Brutaux parle un langage juste, beau sans pathos ni fioriture. Aurore, cette sœur qui vit pour deux, nous touche profondément. In Page des libraires, printemps 2024.
Pierre-Antoine est architecte, connu et reconnu, mais tout à coup blasé. Par ses clients, son métier, sa maison. Se sentant délaissé par sa femme, une galeriste débordée, dépassé par ses enfants, ignoré par sa mère, il s’invente un cancer, persuadé que ce mensonge éhonté rassemblera les siens autour de lui et lui accordera une pause bienvenue pour enfin écrire son roman et redonner un sens à sa vie. Mais notre malade imaginaire apprendra bien vite que simuler un cancer n’est pas de tout repos. Dans cette comédie grinçante et lucide, Pierre-Antoine a assurément un air de famille avec les « Paul » de Jean-Paul Dubois, anti-héros désabusé, en pleine crise existentielle, qui égratigne volontiers ses semblables, surtout quand ils sont superficiels, riches et snobs. Loin de nous endormir, le premier roman de la journaliste Paloma de Boismorel est une satire sociale jubilatoire qui écorche allègrement notre monde futile et vaniteux. In Page des libraires, printemps 2024.
Hisham Matar a beaucoup écrit sur la figure paternelle et sur ce pays, son pays, la Lybie, qui l'a amputé d'un père, disparu dans les abysses de la dictature. Il signe de nouveau un roman fort, intense, le long flashback d’un exilé, arrivé en Grande-Bretagne au début des années 80. Au cours de ses nombreuses déambulations londoniennes, Khaled livre son histoire et l’histoire de ce pays, aimé et honni à la fois où il n’a pas le courage de retourner, sa honte et sa culpabilité d’avoir laissé ses parents, les réflexions d’un homme durablement et profondément marqué par un régime dictatorial qui l’aura hanté toute sa vie, poursuivi au-delà du temps et des frontières. Marqué aussi durablement et fort heureusement par la littérature, salvatrice, et par son amitié, puissante, indéfectible pour Hossam et Mustapha, exilés libyens comme lui mais qui ont fait le choix du retour. Un roman brillant, touchant, subtil qui oscille entre espérance et désenchantement.
C’est avec pudeur que l'auteur nous livre l'histoire de son père. D'abord confronté à la violence coloniale en Algérie, Mohand Saïd Aït Taleb devra ensuite affronter la violence sociale à son arrivée en France en 1962. Malgré le logement HLM qui remplace le taudis du bled, malgré l'école pour ses enfants qui ne seront pas analphabètes comme lui, cet ouvrier taiseux, dur à la tâche ne trouvera jamais sa place. Son fils, dans un texte bouleversant, lui rend hommage.
Née à Bilbao en 1979, élevée à Paris par ses parents émigrés en France peu après sa naissance, Maria se lance à l'âge de 27 ans dans une quête acharnée de ses origines après une révélation stupéfiante au sujet de sa naissance. Retour à Bilbao où elle va rembobiner son histoire et celle de ses parents, histoires intimement liées au régime franquiste. Style enlevé et écriture alerte pour un premier roman haletant.