Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

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7 mai 2016

Un roman qui débute avec un avant-propos très beau, poétique sur la naissance et la mort d'un tourbillon ou d'une mini-tornade, pas forcément représentatif du style qui suit mais que l'on pourra néanmoins retrouver ici ou là dans le texte, sous forme de lettres notamment.
En fait, à peine écrit, je vais me contredire puisque Razvan Radulescu invente en permanence un style littéraire, il alterne les dialogues, les lettres, les descriptions des personnages et lieux, ses propres interventions - en note de bas de page pour contester une partie censurée parce que jugée trop violente ou en courrier adressé à l'éditeur pour demander un délai supplémentaire pour envoyer son manuscrit.

Son histoire est folle, allègrement menée, critique, drôle, palpitante, mais elle souffre également de grosses digressions inutiles, longues, répétitives, d'une certaine lassitude que j'ai pu noter lorsque j'avais posé le livre et que je n'avais pas très envie de le reprendre, mais tout de suite évaporée lorsque je replongeais dans les aventures de Théodose et Chatchien. Pour résumer, je dirais que c'est un roman assez inégal mais son enthousiasme, sa fraîcheur, la folie qui s'en dégage le portent largement vers la case, livre à lire et à conseiller.

Mais revenons un peu à cette histoire ou hommes, animaux, fantômes, personnages imaginaires se côtoient, pour nous narrer l'histoire d'un royaume en pleine révolution ou plutôt en plein putsch. Car ceux qui veulent la place de Théodose ne rêvent que d'un pouvoir absolu, alors que le jeune roi serait plutôt dans une sorte de monarchie constitutionnelle. C'est une critique même pas voilée des dictatures, des moyens de les instaurer, de cette soif inextinguible du pouvoir qui animent certaines personnes. Silure est un Machiavel, prêt à tout, absolument tout, pour régner : les bassesses, les flagorneries, la violence, la mise à mort, ... "C'est exactement ce que je voulais dire, voyez-vous, sauf que je ne m'entends pas à parler simplement, j'en ai perdu l'habitude et je m'embrouille à énoncer des choses voilées, à double ou triple sens, car j'oublie d'où je suis parti et où je suis arrivé, ou bien où je voulais arriver ; et, sans m'en rendre compte, mes paroles parlent sans moi et finissent sur le rivage en pente des courbettes glissantes, car elles n'ont guère le don de garder leur parole intacte, sage et de rester dans le sujet, comme Ton Altesse, sérénissime Chatchien, ô notre vrai maître." (p.159/160) Voilà un bel exemple de langue de bois, s'il ne s'agissait pas d'un silure, j'aurais même pu dire qu'il noyait le poisson (une phrase digne d'une réponse de nos politiques à une question qui l'embête).

Un roman dans la lignée d'Orwell et La ferme des animaux, évidemment, mais plus bavard, plus barré, plus décalé, plus fantasque, qui entre de plein fouet dans l'absurde, le délire et l'humour pince-sans-rire. Franchement, si vous avez un peu de temps, sinon n'hésitez pas à le prendre, vous pouvez commencer ce roman d'un peu plus de 500 pages, à la couverture -encore une fois chez Zulma- magnifique, qui, en plus, de l'être, est en rapport avec le contenu. Et oui, de fraises, il est question... et de champignons itou, mais je n'en dirai pas plus.

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7 mai 2016

Pour ceux qui prendraient cette série en cours, je rappelle, d'une part qu'ils peuvent se reporter à mes recensions concernant les deux tomes précédents (Un été à Pont-Aven et Étrange printemps aux Glénan) et d'autre part qu'elle est écrite par un auteur allemand tombé amoureux de la Bretagne, qui use donc d'un pseudonyme et qui est traduit par Amélie de Maupeou.

En fait quand je dis que JL Bannalec est tombé amoureux de la Bretagne, c'est un euphémisme tant parfois son emballement pour cette région et particulièrement le Golfe du Morbihan frôle la brochure publicitaire.

J'aime beaucoup également la Bretagne, je me sens même y appartenir -même si je vis à Nantes et que nous ne sommes toujours pas raccrochés à la Bretagne, mais dans une espèce de région bizarre, hétéroclite, les Pays de la Loire qui peine et peinera sans doute longtemps à se forger une identité forte-, mais sur quelques pages, l'auteur fait plus dans le guide touristique, la description dithyrambique au risque de saouler le lecteur. Il faut qu'il arrête sinon, la Bretagne va être envahie de hordes d'Allemands et de Parisiens tous les étés... Plus sérieusement, ce qui est un peu agaçant, c'est que sur deux ou trois pages, il aligne chiffres de pluviométrie, d'ensoleillement,... histoire de bien montrer que le Golfe du Morbihan c'est la côte d'Azur bretonne, c'est long, assez mal fait, pas subtil. Tout comme dans d'autres domaines, certains dialogues, ou répliques attendus, pas finauds :

"- Oui, nous serions dans un polar, ce serait le moment où...

- Nous ne sommes pas dans un polar, Le Ber." (p.271)

De grosses ficelles donc pour un polar qui tourne en rond pendant toute sa première partie autour des paludiers indépendants de Guérande, de la coopérative qui en regroupe d'autres, de la société Le Sel qui veut tout racheter et tout contrôler (par contre, vous ressortirez de ce bouquin avec un exposé complet sur le sel de Guérande, le meilleur du monde, évidemment, mais là, il a raison JL Bannalec). Là aussi, où le temps ne s'écoule pas au même rythme que dans les villes, le sel n'étant récolté -et non produit- que grâce à l'action du vent et du soleil, le profit, les magouilles, les jalousies sont parvenues à entrer. Les commissaires Dupin et Rose n'avancent pas, mais la balade est belle, j'aime beaucoup Guérande, Le Croisic toute cette côte sauvage et puis aussi le Golfe du Morbihan ; la prochaine fois que j'y vais j'emporte ce livre, il me servira de guide, le commissaire Dupin a de bonnes adresses de restaurants.

Pendant qu'on se balade, l'enquête piétine et Dupin trépigne obligé qu'il est de seconder la commissaire Rose au demeurant fort efficace et au courant de tout. Puis, enfin, lorsque Dupin retrouve sa méthode : "Il passait chaque élément de l'enquête en revue et le combinait avec des informations nouvelles. Cette manière de laisser son esprit former librement des associations d'idées avait toujours porté ses fruits, et il défiait quiconque de trouver meilleure méthode pour arriver à un résultat cohérent. Il suffisait de persévérer, de fouiller chaque détail, partout, sans cesse." (p.285), tout s'emballe et le final prend une autre tournure, une autre dimension. Reste que ce polar est un poil pèpère, que je le conseille parce qu'il est finalement plutôt très agréable mais si vous aimez l'adrénaline, vous faire peur en lisant, les trépidations, les rebondissements, les courses-poursuites, le sang qui gicle, les autopsies en direct, les descriptions de cadavres, le suspens haletant quitte à se faire du mal, eh bien ce polar n'est pas pour vous, ou alors si, pour vous reposer entre deux thrillers éprouvants.

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7 mai 2016

La belle équipe que voilà. Je ne sais pas si je les aurais suivi, sans doute trop modéré, même si selon Kol qui a sûrement raison, "se dire "modéré", c'est se trouver une bonne excuse pour ne rien faire." (p.363), mais j'aurais aimé les connaître. Ma seule angoisse dans ce bouquin fut de craindre qu'ils ne puissent aller au bout de leur action et qu'ils se fassent piquer, mais bien évidemment, je ne dirai rien là-dessus... Et de me prendre à rêver d'enfermer et d'obliger à travailler ceux qui ont de belles théories sur tout et ne connaissent rien de la vie à 1000 euros par mois, se permettent de critiquer les ouvriers et leurs avantages acquis sur lesquels ils ne veulent pas revenir pendant qu'eux-mêmes se payent des bagnoles ou des montres qui valent plus d'un an de salaire d'un smicard. Et de noter dans un coin de ma tête des noms de personnes à kidnapper et mettre face à la réalité, je crois même trouver des complices assez facilement.

Ah, putain, ça fait du bien, au moins d'y penser...

Gérad Mordillat y va fort, il développe ses idées, ses convictions déjà superbement mises en mots dans Les vivants et les morts.

"Kol s'interrompit un instant au souvenir des saloperies de Ramut et de ses semblables éditorialistes, pseudo-philosophes, politologues, journalistes, experts en tout et n'importe quoi. Pour eux, l'affaire était entendue : la classe ouvrière n'était plus qu'une bande d'abrutis, incultes, illettrés, tout juste bons à lire les titres de journaux gratuits et à faire des mots-fléchés, hypnotisés par le foot à la télé. Mais surtout leur abrutissement, leur alcoolisme, leur dégénérescence en faisaient une armée de réserve pour l'extrême droite dont ils partageaient le machisme, le racisme, le nationalisme et l'antisémitisme." (p.363)

Et ça fait du bien car les romans mettent assez rarement en scène des personnages simples, des gens de "la France d'en bas" comme disait un politique il y a quelques années -une manière de snober (pour ne pas dire mépriser) cette France-là. La brigade du rire est attachante, tous ses membres avec leurs défauts, leurs vies parfois cabossées, leurs amour compliquées ou pas, leurs boulots quand ils en ont, le sont également individuellement. C'est cela qui est bien dans ce roman aussi, Gérard Mordillat s'intéresse à tous et à leurs proches, par exemple, Betty une ex-collègue et ex-amante de Kol, qui se promène dans ce roman sans croiser aucun des protagonistes mais qui est là jusqu'au final. Il construit son roman très habilement et ce qui pourrait paraître irréaliste est en fait crédible, ce n'est pas forcément une simple utopie (enfin utopie pour les kidnappeurs, parce que pour Ramut, c'est plutôt l'enfer).

C'est un très beau roman, qui donne envie de se révolter, de montrer à tous ceux qui théorisent que leur cynisme -ce qu'ils appellent pragmatisme- fait souffrir des hommes et des femmes. Mais ce roman est également drôle, bourré de références cinématographiques, littéraires, de blagues potaches. Il n'est absolument pas plombant, et c'est le sourire aux lèvres qu'on avale les 516 pages -il faut bien cela pour savoir comment tous évoluent. Comme quoi, la révolution -qui s'annonce- peut être joyeuse.

Sabine Wespieser Éditeur

18,00
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26 avril 2016

Une vie, tel aurait pu être également le titre de ce roman ou Une vie simple, tant il raconte celle d'un homme sans éducation, qui s'est construit seul, un homme ordinaire. Egger traverse les deux tiers du vingtième siècle, un peu comme un spectateur. Non pas qu'il fuie le progrès ou les avancées technologiques et sociales, mais ils ne le concernent que peu, isolé dans sa montagne ou dans la vallée. La télé, il n'en a pas l'envie ni les moyens. Le téléphérique, il aide à son implantation, mais ne le prendra quasiment jamais préférant de loin les marches sur les sentiers. La voiture, n'en parlons même pas, tout au plus le car, et encore, juste pour voir du paysage.

Un très beau roman qui m'a fait penser à ceux de Mario Rigoni Stern, écrivain italien des petites choses et des grands espaces montagneux. L'écriture est simple, épurée, et procure beaucoup d'attachement aux personnages et aux lieux. L'émotion est au rendez-vous, dans toutes les pages. Pas de mots superflus, pas de grandes théories. Tout est sobriété, calme et ascétisme. Le silence domine et la montagne l'impose. Egger est taiseux et ça fait un bien fou, un roman loin des tumultes, des cris et de la fureur.

Pas grand chose à dire de plus sur ce court roman (157 pages) qui se lit lentement, qui imperceptiblement trace sa route dans l'esprit des lecteurs et y laisse des marques, une sorte de paix intérieure, de calme, et de respect pour Egger qui aura construit sa vie courageusement et honorablement. Un brave homme. Un type bien. Ce qui pour moi est un double compliment.

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26 avril 2016

Histoire dame Pak est un roman écrit au XVIIIe d'un auteur inconnu. Plusieurs hypothèses sont avancées concernant cet anonymat, l'avant-propos du traducteur les énonce et parle de la genèse de ce roman ainsi que de ses traductions françaises. L'introduction de Li Ogg, l'un des fondateurs des études coréennes en France, s'attarde sur les roman coréens de l'époque et notamment Histoire de dame Pak pour en expliquer les subtilités. Sachez également que ce roman est truffé de notes de bas de pages très utiles pour comprendre la période, le pays, les mœurs les coutumes,... et enfin, cette version est bilingue, d'un côté le français et de l'autre le coréen, qui, coup de chance se lit à l'envers de notre langue : pour un béotien comme moi, c'est très beau tous ces idéogrammes, c'est même assez fascinant à regarder, mais cette partie retiendra évidemment toute l'attention d'un lecteur de la langue coréenne.

Le roman en lui-même maintenant : un petit bijou de la littérature coréenne qui fait la part belle aux femmes, à dame Pak en particulier, une sorte de roman féministe avant l'heure. Un conte, une fable emplie de magie, de surnaturel comme l'on peut en voir dans certains films asiatiques (Le secret des poignards volants, Tigres et dragons et sûrement d'autres que je ne connais pas). Il y a cette belle atmosphère créée par les descriptions des lieux, des saisons, de l'environnement, je les imagine très colorés (comme dans le premier film que j'ai cité). Il y a également de la lenteur, le temps ne s'écoulera pas moins vite si' l'on agit rapidement ; profiter des moments présents et ne pas précipiter les événements qui sont inscrits et qui se dérouleront quoi qu'il arrive. Dame Pak sait cela et elle agit pour protéger les siens et son pays sans contredire les événements, c'est sa force, elle est en lien avec des forces surnaturelles, elle devine les choses. Tout tourne autour d'elle dans une époque où pourtant la femme n'est pas considérée, voici par exemple ce que dit le kong (le beau-père de Pak) qui l'apprécie beaucoup : "Toi, toute femme que tu sois, tu es très intelligente, et si par hasard tu étais née homme, tu serais devenue un ministre éminent, cela aurait été extrêmement profitable." (p.36)

Ce conte est très accessible même si beaucoup de notions me sont inconnues : soit elles sont expliquées en bas de page, soit parfois j'ai pu m'en passer sans altérer ma compréhension du texte. Il faut saluer ici le formidable travail de Marc Orange, traducteur, qui a su mettre ce texte à la portée du lecteur lambda comme je le suis. Une très belle idée, car certes l'on peut vivre sans avoir lu Histoire de dame Pak, mais le lire est quand même un plus évident, un apport culturel, littéraire et même spirituel évident.