Yv

http://lyvres.over-blog.com/

Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

Conseillé par
18 septembre 2016

"Les contes défaits est un livre délicat. A écrire, et sans doute à lire." Ainsi, est écrite la dédicace que m'a faite Oscar Lalo. Délicat, certes, mais quelle claque ! "On croyait que notre mère savait tout et ne tarderait pas à apparaître, elle qui nous disait si souvent : "Une maman ça voit tout." Non. Et l'homme le savait. Il lui suffisait de faire bonne figure à la gare. Son innocence naturelle séduisait. Les Thénardiers ne ressemblent jamais aux Thénardiers. (...) Parfois, la main de l'homme s'appropriait l'un d'entre nous en lui caressant les cheveux, l'épaule ou la jambe. Sensation d'isolement quand cela se produisait. Nous nous demandions où était son autre main. Nous nous demandions où était celle de notre mère." (p.21/23) Tout est écrit comme cela, rien n'est dit et tout est compris aisément. Les mots peuvent être inventés, néologismes si besoin est, les jeux de mots servent le texte -comme le titre par exemple (dans le même genre, mais beaucoup plus léger, j'aime bien la chanson de Dyonisos, Tes lacets sont des fées). Les chapitres sont courts, très courts. Les phrases itou. Parfois un mot, un seul. Pas de superflu Oscar Lalo va droit au but même s'il prend des chemins détournés puisque les agressions ne sont jamais décrites, juste suggérées. C'est ce qui est fort et paradoxal : comment peut-on aller au plus profond, directement, sans fioriture, sans jamais tomber dans des descriptions ou des énoncés clairs et nets ? Comment aller au plus direct en prenant des chemins détournés ? C'est là, tout le talent de l'auteur dans son premier roman.

Un livre fort et prenant que je n'ai pas pu lâcher de la journée. On dirait presque un témoignage -et je déteste le genre, mais pas là-, puisque le roman est écrit à la première personne, mais pas un truc trash, voyeur et dégueulasse -voilà, c'est ça que je hais-, non, un roman dur et poétique, un thème particulièrement difficile et particulièrement bien abordé et traité. J'aurais pu citer moult extraits tant ils sont marquants : "En groupe, on se partageait la solitude. Quand un enfant avait les yeux dans le vide, c'est que l'homme était passé par lui. Un jour ou l'autre. Dans les couloirs du home, nous étions disponibles sans recours. A sa merci. Nous le savions." (p.85)

J'en fais l'un de mes coups de cœur, même si j'ai trouvé la quatrième et ultime partie un peu longue, moins percutante que les précédentes. Ne vous éloignez pas de ce roman à cause du thème abordé et de sa violence contenue, vous passeriez à côté d'un excellent roman.

Conseillé par
18 septembre 2016

Que dit-on lorsqu'on a la sensation d'être tombé sur une pépite, un roman excellent de bout en bout ? Un coup de cœur ? Le roman de SG Browne est au moins cela et sans doute plus encore. "Une comédie noire et irrévérencieuse sur le sort" est-il écrit en quatrième de couverture. Exact. On y rit beaucoup, y sourit très souvent, par le décalage des situations, par l'humour et les réparties de Sergio et par le talent de l'auteur pour raconter de manière humoristique des choses qui ne le sont pas forcément. "Je vois mon propre sort déployé devant moi telle une grande épopée à la Cecil B. DeMille. Mais sans Charlton Heston, qui au passage, ne ressemble pas du tout à Moïse. Moïse était petit, pâle, dégarni, et il avait de mauvaises dents. Par contre, il était toujours bien sapé. Et il avait une recette de soupe de poulet et boulettes de pain azyme à se damner." (p.192)

C'est aussi une critique de la société actuelle basée sur la surconsommation et le culte de l'image, celle que l'on renvoie autour de soi, celle que l'on doit transmettre à grands coups de dollars ou euros : "Aux États-Unis, on dénombre deux fois plus de centres commerciaux que d'écoles, et désormais c'est passé dans les mœurs : au lieu d'aller à la messe, on se rue en masse vers ces temples érigés à la gloire de la consommation. Dans une société qui encourage les citoyens mesurer leur valeur à l'aune de leur compte en banque et de leurs possessions matérielles, les humains américains consacrent une plus grande partie de leur budget à se procurer des chaussures, des montres, des bijoux qu'à se payer des études universitaires." (p.10). SG Browne parle de son pays, les États-Unis, sans détour, il va droit au but et dit clairement sa pensée que l'on peut aisément transposer à l'Europe à moins qu'un sursaut de Bon Sens -c'est aussi un Immortel- ne vienne chambouler tout cela.

Ce roman au titre à rallonge (Fated, en version originale, comme quoi, la France n'a pas le sens de la concision) est une pure merveille, que je rapprocherais volontiers des écrits de Tom Robbins (Comme la grenouille sur son nénuphar). L'écriture est vive, moderne, dynamique, on ne s'ennuie pas un seul instant de ces 400 pages (bravo à la traductrice, Morgane Saysana). Le ton est résolument à la comédie, et sans être trash, il y a quelques scène chaudes entre Sara et Sergio, mais aussi entre Sergio et Destinée, des scène de sexe sans contact : "Je suis allongé sur le dos en boxer blanc près d'un bouquet d'hydrangées bleues, et Destinée me chevauche, vêtue en tout et pour tout d'un string en coton rouge vif. La seule chose qui pourrait rendre la scène encore plus patriotique, ce serait Jimi Hendrix jouant l'hymne national." (p.18) Là, évidemment, je ne cite que le début, eu égard aux chastes yeux (?) qui me liraient. Il faut dire que Destinée est une femme plus que désirable, toujours de rouge vif vêtue et que Sergio ayant pu choisir son apparence humaine ressemble plutôt à un mec viril et musclé qu'au Moïse décrit plus haut.

Le livre de SG Browne est original, rien n'est trop attendu, même si il aurait pu jouer avec des évidences entre mortels et immortels. Il renouvelle le genre en y posant une touche très personnelle et réussit le tour de force de scotcher ses lecteurs du début à la fin avec un thème déjà abordé ailleurs. Les éditions Agullo publient donc un roman formidable -n'ayons pas peur des mots- que je recommande très vivement pour son contenu mais aussi parce que la couverture -et le bandeau- sont très réussis et que la qualité du papier et de la mise en page sont au rendez-vous. Mon Jerry, que tout cela est beau !

Conseillé par
10 septembre 2016

Bon, on ne va pas se mentir, l'idée est géniale du début à la fin. Je me suis pris au jeu dès le début, dès la préface, et pourtant d'habitude, les préfaces ce n'est pas mon truc -quoique avec l'âge, je les lis de plus en plus et y trouve souvent beaucoup d'intérêt.

Évidemment, les questions qui me taraudent c'est comment écrire une bonne chronique sur un livre, mais d'abord à quoi reconnaître un bon livre et qu'est-ce qu'un bon livre ? Pourquoi un écrivain prend-il la plume ? Qu'a-t-il à raconter qu'on ne sache déjà ? Comment le fait-il, avec élégance, style, originalité, avec pédanterie, en plagiant, ... ?

Pas mal d'humour et de détachement de la part de Robert Colonna d'Istria qui écrit donc sur ces cinquante-deux bouquins. Il joue avec les noms des auteurs qui semblent tous être -je n'en ai pas vérifié l'entièreté- des anagrammes de son propre nom, preuve s'il en fallait une qu'il est à la fois auteur et critique des ces œuvres pas encore nées. Il joue également avec le thème, comme cet auteur Don Isabel Torr-Catrion qui publie un guide des meilleurs restaurants... imaginaires, guide évidemment imaginaire lui aussi. Et qui est ce Bessaguet, personnage récurrent dont on ne connaît pas grand chose mais qui fait autorité dans pas mal de domaines ?

Loin d'être élitiste, son ouvrage s'adresse à tous et donne envie de découvrir certains des livres critiqués -que le vote sera dur ! Il commence très fort avec plusieurs qui me plaisent véritablement : Antonio Barlits-Records écrit des textes sur les grands auteurs qui finissent avec des mots inventés, des néologismes à peine compréhensibles mais qui apportent un rythme et du son. Ron-Aristote Binoclard reprend à son compte une anecdote racontée par Michel Déon pour en faire un roman. Orso Breton-Ti-Cardinal écrivain peu connu publie son journal finalement peu original mais d'une grande liberté. Tristan-Odilon Orbarec écrit lui sur l'attente, la contemplation pendant qu'Ariston Broint d'Arcole entreprend la biographie d'un homme de l'ombre, L'illustre Méconnu, de laquellle je tire cet extrait qui me ravit : "Être né à Romorantin n'est pas donné à tout le monde. C'est le premier cadeau que le personnage d'Ariston Broint d'Arcole reçut de ses parents. Il est né dans cette bourgade solognote, au quartier de la Tuilerie, le 11 novembre 1918 : la Première Guerre mondiale finissait, il commençait. Le reste de sa vie ne fut ainsi qu'une suite de bienheureux hasards. Certains ont le don d'être là au bon moment." (p.58).

Parfois cependant, il tombe dans certains travers qu'il décrit si bien : "Sous l'étiquette de "livre", il a réuni un fatras informe, désordonné, qu'il a dû estimer spirituel mais est en réalité lassant." (p.117). "Vaille que vaille on y trouve sa petite musique, monotone -au sens propre, qui joue toujours sur les mêmes tons-, comme un solo mélancolique, désuet et vaillant, qui parfois tourne sur lui-même..." (p.122) La critique est dure et sûrement trop pour le livre de Robert Colonna d'Istria qui a beaucoup de qualités et qui globalement m'a plu, mais certains passages, certaines chroniques sont longs et un brin répétitifs et reprendre ses propos -certes un peu forts- pour son bouquin me semblait si ce n'est original du moins logique.

Une petite remarque avant de finir tout à fait, les derniers paragraphes sont pour moi superflus, qui expliquent certaines choses que le lecteur comprend ou devine au long du texte et qu'il a même plaisir à comprendre et découvrir, se sentant hyper intelligent -enfin, là, je parle pour moi.

Il n'empêche que le livre de Robert Colonna d'Istria est à découvrir, il ne ressemble à rien de ce que j'ai lu jusqu'ici et ça me plaît bien. Et puis, la cerise sur le gâteau, c'est de pouvoir choisir un titre parmi les cinquante-deux qui sera publié. Sortir de la banalité des romans de la rentrée, c'est aussi à cela que sert cet ouvrage.

Conseillé par
10 septembre 2016

Je qualifie volontiers le roman de Michël Uras de la même manière que je qualifie son héros Alex : fin, délicat, léger et drôle, vif, délicieux et bien que décalé dans son époque, totalement en phase avec elle, les réponses qu'ils apportent étant celles espérées. Alex est sympathique et on se plait très vite en sa compagnie. C'est un jeune homme qui paraît effacé, timide et peu sûr de lui. Néanmoins, professionnellement, il est de bon conseil, tape juste dans ses ordonnances livresques : quasiment que des ouvrages que je n'ai pas lus et qu'il m'a donné envie de lire. Même si Michaël Uras parle beaucoup de livre et de littérature, son roman n'est pas un catalogue, il détaille chaque ouvrage conseillé mais reste sobre, il ne fait pas de critiques argumentées, ce qui aurait pu faire fuir ses lecteurs. Il met en relation les titres proposés avec les vies de personnages qu'il crée, ce qui est bien plus fin pour un roman qui parle de bibliothérapie.

Michaël Uras écrit là un roman optimiste, et l'on suit les aventures d'Alex à travers ses yeux et son esprit. Comme lui on passe parfois du coq à l'âne, ou plutôt de son occupation à un moment précis à une dérive de sa pensée vers Mélanie puisqu'elle occupe en grande partie son esprit et revient sans cesse, dès qu'un détail la lui rappelle : "Je l'installai (Robert Chapman, un de ses patients) dans le merveilleux fauteuil Ikea que Mélanie m'avait laissé. Elle y tenait beaucoup, pourtant. Peut-être reviendrait-elle le chercher un jour. Peut-être reviendrait-elle me chercher un jour. En attendant, elle n'avait toujours pas répondu à mon message. Je commençai par demander à Chapman de me raconter une journée type de sa semaine" (p.100).

Toujours bien écrit -la touche Uras-, ce roman se lit avec grand plaisir et délectation. On y trouve quelques saillies drôles et féroces (réalistes) : "Yann avait lu l'interview que j'avais donnée pour un blog confidentiel dirigé par une fille bizarre qui rêvait d'être reconnue. Profil type du blogueur. Elle enchaînait les interviews de personnes aussi célèbres que moi pour arriver à ses fins. Autant dire qu'il lui faudrait à peu près un siècle pour y parvenir. Le temps d'interroger une personne qui réussirait, se souviendrait de sa première interview et la ferait introniser "blogueuse influente"." (p.137).

Un truc que j'aime bien : au détour d'un chapitre, en plein commissariat, comme un clin d'œil, on croise un monsieur Bartel (Jacques ?), comme le héros de Chercher Proust, le premier roman de l'auteur, totalement obsédé par le grand romancier au point de le voir partout.

Un roman de cette rentrée littéraire à sortir du lot, qui donne envie de s'atteler à la lecture de classiques, qui parle de littérature de manière décontractée et qui se moque un brin des culs-pincés-snobs qui ne peuvent en parler qu'avec des accents élitistes. Et là, je rejoins Michaël Uras : la littérature fut-elle celle des plus grands noms doit être une source de plaisir et de partage.

Conseillé par
10 septembre 2016

Un roman a double entrée : d'abord celle du scribe de François Sauval chargé de noter tous ses exploits, de le suivre à chaque instant de sa vie pour transcrire ses faits et gestes. François Sauval vise à l'éternité et veut à défaut de vivre éternellement qu'on se souvienne de lui longtemps. Ensuite, l'histoire de la tribu des Charahuales, chassée de ses terres et dont la langue sera transcrite par un prêtre alors qu'elle est déjà quasi décimée, puis d'autres passionnés de linguistique interviendront pour tenter de la sauver.

Comme à chaque fois que je lis un roman de Mikaël Hirsch, je note quasiment toutes les pages, tant je suis sous le charme de son écriture. Cette fois-ci, il écrit sur l'effacement de soi. Jusqu'où l'homme peut-il renoncer à être lui-même pour survivre ? Jusqu'à quel prix est-il capable de se vendre pour s'oublier ? Notre société étant de consommation à outrance, tout est régi par l'argent, le pouvoir d'achat, les signes extérieurs de bonne santé financière. Le narrateur s'enfonce, lui, de plus en plus dans le renoncement de soi qu'il cultivait déjà avant sa rencontre avec François Sauval : "Une fois passées les premières décennies, tout ce qui constitue sa propre personnalité finit par lasser prodigieusement. Je m'étais beaucoup ennuyé en ma propre compagnie, traînant un corps usé dont personne ne voulait plus et une conscience d'occasion. Lorsque l'accablement s'installe, on cesse d'être un objet de désir pour qui que ce soi." (p.11) Dit comme cela, cette partie du roman pourrait paraître déprimante, or elle ne l'est pas car -nouveauté chez le romancier- l'humour, l'ironie ou la dérision sont assez présents, : "A la mort de mon père, j'emportai avec moi tout le legs familial, cinquante-trois boîtes de Doliprane qui occupaient la totalité de l'armoire à pharmacie et qui constituaient la dernière valeur disponible dans l'appartement presque vide.(...) Pendant les années qui suivirent, à chaque nouvelle migraine, je prenais un cachet en me disant que je dilapidais sottement l'héritage paternel (...) jusqu'au jour où il ne resta plus rien. (...) Ce jour-là seulement, je fus orphelin." (p.47/48). Dans cette même partie, le narrateur est en totale opposition avec François Sauval, qui lui, veut laisser une trace, accéder à la toute puissance, son argent qu'il dilapide sans compter dans ce but unique devra l'y mener. Il ne doute pas, avance, écrase tout ce qui le gêne : l'ambition ultime, suprême contre l'abandon, l'effacement.

Mikaël Hirsch écrit aussi sur la disparition d'un peuple, de sa culture et surtout de sa langue. Il remonte le temps pour en raconter l'histoire et commence par ses légendes : le serpent noir du commencement donne naissance à des jumeaux, Sue et Chia. "Sue, le soleil, tira une flèche dans l'œil de son frère Chia, qui fut condamné à errer dans le ciel et devint l'étoile du matin. Sue se baigna ensuite dans l'eau douce, Uma, et son reflet engendra les ombres qui peuplèrent immédiatement la terre. Les ombres étaient libres d'aller et venir, glissant sur le sol." (p.22) Quand nous étions des ombres -nsut nani aakarka, dans la langue qui disparaît- est un propos qui revient dans la bouche des anciens ; quand nous étions forts... ou quand nous étions, tout simplement..

Le roman de Mikaël Hirsch est beau, fort et puissant par ce qu'il raconte et oppose avec brio. Il est dense, le romancier excellant dans l'art de condenser en 180 pages ce que d'autres écriraient en 500. Il est intelligent, érudit sans être pédant. Un ouvrage de grande qualité, d'une maîtrise totale, époustouflant. J'ai la sensation que l'écrivain se lâche un peu -et ça lui va bien-, qu'il ose beaucoup plus que dans ses romans précédents qui, tout en étant très bons, étaient un peu plus "retenus". L'humour en est une preuve, mais ce n'est pas la seule.

Comme à chaque fois que j'ai très envie que vous découvriez un roman que j'ai adoré, j'ai le sentiment d'avoir écrit un billet brouillon, tant pis, si vous en retenez qu'une chose eh bien retenez de lire Mikaël Hirsch absolument. Vous ne lirez pas l'un de ces romans "habituels" de la rentrée littéraire. Non , vous aurez de l'originalité, de l'intelligence et une langue sublime, des phrases d'artisan-écrivain -mais au moins un Meilleur Ouvrier de France-, de la belle ouvrage. Un grand romancier. Un grand livre.