Mirontaine sta leggendo

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Professeure des écoles par correspondance et lectrice passionnée autant en littérature de jeunesse qu’en littérature générale.

6 février 2021

Efi, quatorze ans, un sac rempli de bonnes notes et quelques livres prêtés par sa professeure de littérature. Un village en Afrique ? En Inde? Le texte ne nous le dit pas. Ce pourrait être les quatorze ans d'une fille tsigane ou ceux d'une méditerranéenne sous le joug du patriarcat. L'histoire d'Efi est intemporelle et universelle. " Tu es en danger maintenant dehors " a prévenu le père d'Efi. Dans son village, on cultive la peur et la soumission. On n'éduque pas les garçons au respect mais plutôt à devenir les vigiles sous l'autorité paternelle. Efi n'est plus une femme en devenir mais un corps, une marchandise. On pourrait croire que l'histoire d'Efi date d'un autre temps, celui où la virginité des jeunes filles est préservée pour un seul et unique homme. Non pas celui que l'on se choisit mais celui qu'une famille impose. Les filles ne doivent pas penser à leur bonheur personnel, mais d'abord à celui de leur famille. Il faut rendre fier le paternel et ne pas s'opposer à la communauté.
Efi s'est fait une belle promesse : " Je suis une fille éclairée et jamais je ne pourrai vivre dans l'obscurité. "
Ce livre de littérature de jeunesse, je vais beaucoup en parler avec les enfants que j'accompagne, filles comme garçons car c'est le cri silencieux de douze millions de jeunes filles, mariées de force chaque année.
Ce livre est précieux pour nous les enseignants du réseau AEFE.

Catherine Dabadie

Actes Sud

15,00
1 février 2021

Giacomo a quatorze ans et vit en Italie. Son village posé sur une crête au-dessus de la mer aurait pu être celui de Sicile. On sait qu'il adore plonger depuis la falaise, c'est un casse-cou. Il n'a peur de rien. C'est Riccardo, son oncle qui s'occupe de lui. Son père appartient à un autre clan, celui de la Mafia. Comment peut-on échapper à son destin de fils de mafieux? Comment se construit-on un savoir libéré des chaînes du pouvoir quand on a quatorze ans? Comment échappe-t-on au déterminisme social ? Catherine Dabadie raconte l'emprise de la pieuvre, sa violence. " Je ne m'étais jamais questionné sur ma famille. Elle me semblait normale, notre façon de vivre. On évoluait juste dans un monde différent, parallèle." Ce que j'ai particulièrement aimé dans ce livre c'est la faculté de l'autrice à décrire l'incompréhension de Giacomo sur la normalité familiale. Difficile de porter un jugement sur les siens. Le jeune garçon sera placé loin du monde patriarcal, dans une propriété viticole tenue par des femmes. Obéir à un clan de jupons est impossible pour lui( jubilatoire pour moi). Tu sais comment s'appelle la propriétaire du domaine ? GOLIARDA. Il est rare ce prénom en Italie, alors j'ai vu un immense clin d'oeil de Catherine Dabadie. Giacomo ira en classe. " Je croyais que réussir en classe, c'était réservé à ceux qui avaient toutes les cartes en main dès la naissance." Il est entré dans un jeu trop grand pour lui. La mafia frappe souvent les serviteurs de l'Etat que l'Etat ne parvient pas à protéger. La famille est la cellule de base avec ses valeurs traditionnelles : l'honneur, la fidalité, les codes, le respect des liens du sang. Mauvais sang: bile noire ou mauvaise lignée ?
La mafia presse comme un citron. Giacomo peut-il échapper à ce qui sème la terreur et la mort? Le premier meurtre vaut pour adoubement.
Servir, obéir, se taire. Est-ce que la vie humaine de Giacomo se résume à ce qu'elle peut rapporter?
Giacomo croisera Livia. Ensemble comme dans la Commedia dell' arte, ils pratiquent le théâtre. Du haut de son adolescence, Giacomo apprend à tirer les ficelles de son destin.

1 février 2021

Le Dernier enfant c'est un peu le sujet qui tourmente. C'est la dernière journée d'un couple avant de déposer le dernier enfant dans son studio d'étudiant. Vingt-quatre heures dans la tête d'Anne-Marie du petit déjeuner au coucher. Les dernières tartines au petit matin pour le fils qui s'en va. Elle se remémore tous ces petits instants de bonheur simple partagé avec Théo. Les angoisses d'une maman affleurent, la pudeur du papa n'est pas en reste. La force de Philippe Besson c'est de vivre dans la tête d'une maman face au nid vide. C'est sobre et déchirant et forcément ça touche à l'intime et fait écho. L'infiniment petit du quotidien donne le vertige. Cette rupture rythme l'existence des parents. Philippe Besson souligne la place de l'imprévisible et questionne notre capacité à supporter l'incertitude de l'enfant qui grandit. Les liens restent sensibles, s'infiltrent et sont engrammés dans notre chair de parents. La vie d'avant, avec l'enfant s'obstine en filigrane. Pas d'ardoise magique pour la fragilité. Le stylet de l'enfance a laissé sa marque sur la surface de la vie d'Anne-Marie. Il faut vivre avec les tessons du souvenir, selon une relative solidité intérieure. C'est une torsion psychique à laquelle on se doit de faire face le mieux possible. Anne-Marie abandonne un certain pan de son existence et va se fondre sur un nouveau style d'existence. C'est une évolution pas uniquement un séisme, une sorte de modification intérieure, une mutation. Elle rompt avec son habitude d'être.
Je range ce livre dans le carré précieux de ma bibliothèque parce qu'il permet de retrouver cette force de l'incertitude de la vie et le courage d'être.

1 février 2021

Elle a le visage rougi par le savon de son correspondant. Elle ne va pas le louper. C'est volontaire ce savon fait maison qui pue? Il lui a brûlé le visage. Elle se creuse la tête pour trouver un cadeau bien moche en retour. Elle pense à un pull tricoté bien rèche et démodé. Elle cherche en friperies mais ne trouve pas. Sa mère déprimée dans le canapé peut peut-être l'aider. La voilà motivée. Cliquetis d'aiguilles, pelotes peuplées d'acariens carnivores. Pourvu que ça lui démange...

Un savon, voilà l'idée de génie. Tutoriel et si on n'a pas tous les ingrédients on remplace, et si ça pue, il suffit s'ajouter du parfum. Et le tour est joué. En retour, ce pull moche, hideux qui gratte? Mais comment peut-on envoyer ça ? C'est une fayote. Il ne peut pas enfiler ce truc qui le fait ressembler à un sapin de noël. Alors hop poubelle et on n'en parle plus. Un rang à l'envers, un rang à l'endroit, le jersey, c'est pas pour lui.
" Vous adresserez un mail à votre correspondant.e avec la photo de l'objet reçu. "
Fil de panique .

C'est au Rouergue, dans la collection Boomerang. Deux textes en regard qui se répondent et se rejoignent maille après maille au creux du livre. C'est astucieux, drôle et bien ficelé. La bienveillance s'invite au creux de la vengeance.

Le Livre de poche

9,40
1 février 2021

« Elle voudrait leur dire comme la vie est rapide, ce n'est qu'une flèche, brûlante et fine, la vie est un seul rassemblement, furieux et miraculeux, on vit on aime et on perd ceux que l'on aime, alors on aime à nouveau et c'est toujours la même personne que l'on cherche à travers toutes les autres. »

Quinze jours avec Bakhita. Ce livre est dans ma bibliothèque depuis deux ans. Parfois, les biographies me font peur. Peur de trahir un substrat historique mais Véronique Olmi, que je lis pour la première fois, m'a totalement emportée dans la curiosité mobile de cette fillette née au Soudan, devenue esclave et religieuse en Italie. En Sicile, nous connaissons bien la soeur noire, comme Sainte Sara chez les tsiganes. Je craignais la description d'une violence faite à l'enfant mais l'écriture est subtile pour décrire l'indicible. Pour apprivoiser la peur, l'enfant se force à regarder la vie devant elle. L'abnégation de Bakhita est grande devant les êtres faibles, ses maîtres, qui en veulent à ceux à qui ils doivent beaucoup. La vie de Bakhita est une vie qui se vole, une vie qui s'achète et s'échange, une vie qui s'abandonne dans le désert, une vie sans même savoir comment on s'appelle. La douleur est une pluie glacée qui s'abat sur la vie de Bakhita. Elle écoute sa force et grandit. Elle s'entoure d'enfants car, comme elle, ils se font comprendre avec un langage de peu de mots et cherchent leur place. Elle ne lâche jamais la main d'un enfant. Elle est noire comme une nuit douce Bakhita. Sa vie est simple mais ses souffrances passées n'ont pas de mots. Bakhita aime être avec les enfants et les jeunes filles, parce qu'elle aime être avec ceux qui commencent. C'est une reconnaissance sans hiérarchie pour celle qui se demande si l'on peut être libre un jour quand son corps est noir.
C'est une lecture coup de coeur.