Mirontaine sta leggendo

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Professeure des écoles par correspondance et lectrice passionnée autant en littérature de jeunesse qu’en littérature générale.

14 mai 2013

Je ne connais l'auteur qu'en littérature jeunesse mais le titre de cette dernière parution m'intriguait beaucoup. Pour celle qui publie de très beaux textes pour la jeunesse, je suis très surprise d'apprendre que pendant très longtemps, lire l'ennuyait profondément.

"Je n'ai aucun problème avec la lecture. J'ai un problème avec les livres."

Petite, Agnès Desarthe déclarait à qui voulait l'entendre que lire ne servait à rien. Son souhait, dès sa prime enfance, est d'écrire. Seulement, il est difficilement concevable d'écrire sans maîtriser la faculté de lire. Pour une élève appliquée, cette position semble plutôt saugrenue et surprenante. C'est ce cheminement sur la question de la lecture et de l'écriture que nous confie ce récit.

"Lire, c'est mourir un peu".

Elle tente d'expliquer aux lecteurs les raisons pour lesquelles la lecture lui paraît ennuyeuse. En fait, sa préférence repose sur le fait de raconter elle-même des histoires. L'anecdote de sa première tentative d'écrit avec un pseudo plagiat d'une oeuvre de Druon, cette aptitude très tôt à vénérer l'objet livre mais aussi ce rapport malicieux avec les livres viennent truffer le cheminement de notre apprentie lectrice de manière très sincère. Elle a aussi l'humour pour allié. Toute petite, Agnès Desarthe fait preuve d'une imagination très riche. Elle évolue dans un milieu bourgeois et ce désinterêt pour la lecture fut indubitablement une faille dans l'éducation de cette jeune fille brillante qui s'orientera ensuite dans des études de lettres supérieures.

"A chaque livre, j'espère. A chaque livre, je suis déçue. Je veux que ça sonne, je veux que ça ne ressemble à rien, je veux qu'on m'en mette plein la vue".

Agnès Desarthe raconte les sources de cette mésentente avec la lecture. Comment est-elle parvenue à aimer les livres? Elle est prête à "avaler des kilomètres de phrases, pourvu qu'un décalage avec le quotidien s'exhibe". Elle développe longuement sur les livres qui ont su éveiller sa curiosité notamment Tistou les pouces verts de Maurice Druon, puis ensuite les poèmes de Prévert, les textes de Faulkner, Duras, Camus... Dans une dernière partie, elle évoque brillamment le lien entre l'écriture et la traduction. Cette démonstration est riche de sens.

Très jolie confession qui est venue compléter dans ma bibliothèque le petit fascicule de l'Ecole des loisirs. Le parcours de cette enfant sage qui tourne le dos à la lecture est passionnant et servi par une stylistique très étoffée.

Comment j'ai appris à lire d'Agnès Desarthe, Stock, mai 2013.

11 mai 2013

"-Tu vois, Lola, le monde dans lequel nous vivons n'est qu'une vaste foire aux apparences. Chacun de nous, au fond, aimerait passer pour quelqu'un d'autre. C'est un mécanisme naturel, même les plantes et les animaux y obéissent. En général, on le fait pour améliorer son existence. Parfois, c'est une question de survie. Pour moi, c'est autre chose. Une mission. Je dois l'accomplir pour le bien de tous."
Voici un roman époustouflant! Pourtant, le thème n'est pas vraiment en adéquation avec mes affinités de lecture.J'ai vraiment bien apprécié l'univers de ce roman. Première rencontre avec la plume de Luigi Carletti, qui a déjà publié en France Prison avec piscine, que je n'ai pas encore lu.


La toile de fond c'est le huis clos brûlant du match Milan AC et l'Inter (non, ne partez pas...le foot en littérature offre de belles surprises). L'incipit du roman s'ouvre sur une ambiance lourde d'attente. Les deux équipes s'échauffent, les supporters soutiennent leurs équipes avec ferveur. Dans cette liesse, les femmes sont aussi présentes à leur manière: celles comme Annarosa qui suivent leur mari avec ennui, d'autres comme Renata, de ferventes admiratrices dont le rêve est d'approcher Materazzi, mais aussi Lola la chroniqueuse radio qui commente le match.On accompagne également Gemma, âgée de quatre-vingts ans. Elle a connu son mari Attilio au stade. Même mort, elle n'est jamais parvenue à le quitter et c'est tout naturellement qu'elle prend une place sur les gradins à son attention et continue à lui commenter le match.

Ce roman dribble entre comédie et mystère et prend doucement le chemin du polar. Certaines femmes ne sont pas là pour le match, certaines sont en mission et observent les hommes, prêtes à tuer.

Ce qui m'a particulièrement plu dans ce roman, c'est l'esprit de la tragi-comédie à l'italienne. La plume de Luigi Carletti est tour à tour élégante et satirique. L'auteur nous présente un concentré de l'Italie d'aujourd'hui: l'immigration mal digérée, les systèmes mafieux, la corruption...et cette formidable aptitude à rire de ce spectacle désolant.

"Renata soupire et secoue la tête: l'amnésie de ce pays est un véritable handicap. C'est désolant, sur ce point, la gauche a raison, avouons-le: une nation sans mémoire est une nation sans avenir. Nous aurions donc tout oublié? Vraiment, plus personne ne se souvient de l'époque où, dans ce virage, on sifflait les joueurs noirs des équipes adverses? Et ces cris de singes qui fusaient, sonores, de toutes parts? On les voyait chanceler sous la bourrasque, et certains d'entre eux ne touchaient plus la balle. C'est fini tout ça? C'est du passé?"

Roman machiavélique dont la vivacité du rythme vous emporte sur la voie d'un thriller.

6,90
18 mars 2013

C'est le premier livre d'Henri Bauchau que je lis. J'ai tout de suite su que "je serai bien" dans ce livre. Pourtant l'histoire est plutôt bouleversante, celle d'Orion, enfant psychopathe placé en hôpital de jour, à Paris. Là, il sera pris en charge par Véronique, psychanalyste. On pourrait croire que la narration devienne vite pesante puisque Bauchau décrit chacune des entrevues entre Véronique et le jeune adolescent perturbé. Seulement, malgré ses difficultés, la psychanalyste va très vite se rendre compte de l'imagination puissante et tente d'orienter Orion vers le dessin, puis la sculpture.

"-Je ne sais pas, avec Orion tout est si obscur, si imprévisible.

-C'est cette obscurité qui t'attire?

Il voit que je ne puis répondre. Il sourit, je ne suis pas seule, nous sommes deux."

Partir à la rencontre d'Orion, c'est prendre connnaissance de ses dictées d'angoisse, de ses dessins du Minotaure assassiné et de l'Ile Paradis numéro 2, de la Harpe éolienne et de la statue en bois d'arbre. Orion est le déshérité, il a "sans doute été choisi, au fond du ténébreux inconscient familial pour être le symptôme de son mal. Il est aussi un produit d'une certaine pensée que façonnent à travers le monde la télévision et la publicité[...]Son malheur, ses handicaps bouleversent en moi la femme profonde, car il y a dans notre commune aventure quelque chose de fondamental. Quoi? C'est ce que je ne parviens pas à me formuler quand soudain une certitude surgit: Orion et moi, nous sommes du même peuple. Quel peuple? Le peuple du désastre.Qu'est-ce que ça veut dire le peuple du désastre? La réponse, imparable, avec la voix d'Orion dit: "On ne sait pas."

On accompagne Orion sur le chemin des Arts. Il va au fil du temps, avec une sûreté singulière, partir à la rencontre des objets, des scènes, des tableaux qui le concernent intérieurement.

Bauchau décrit avec beaucoup de finesse et de subtilité le parcours d'Orion vers les chemins de la création. Les voies sont semeés d'incertitudes et d'échecs mais peu à peu, Orion réussit à s'ouvrir à la parole grâce à l'Art. L'oeuvre intérieure et artistique ne font plus qu'une, cette dernière éclot au fil des pages dans une langue poétique.

Bauchau dans ce livre, aborde les thèmes délicats du peuple du désastre et la patience des déliants. S'affrontent alors, dans un manichéisme bouleversant, la mystérieuse force de la souffrance face à l'espérance.

Je vous invite vivement à rencontrer l'enfant bleu, figure fugitive de l'espoir.

Selznick, Brian

Bayard Jeunesse

18 mars 2013

Brian Selznick est l'auteur du célèbre roman L'Invention d'Hugo Cabret. L'histoire se passe aux Etats-Unis à deux époques différentes.

Nous rencontrons, Ben, en 1977.Il vit chez son oncle et sa tante depuis la mort de sa mère. Orphelin de père qu'il ne connaît pas , sourd d'une oreille, il fait ce rêve incessant d'être poursuivi par des loups. Soucieux de renouer avec ses origines, il retourne dans la maison maternelle où il découvre "Le Cabinet des curiosités". Son désir de rejoindre la ville de New-York se réalise et il part sur les traces de son père.

L'histoire est entrecoupée par des pages illustrées, un peu à la manière de Lorenzo Mattotti.

Rose vit en 1927, elle est sourde. Elle se passionne pour l'actrice Lillian Mayhew. Elle apprend dans un article de presse sa venue à New-York pour un concert. Elle souhaite plus que tout se rendre à ce concert. Qui est Lillian Mayhew?

On suit l'aventure de ces deux jeunes gens, à des époques différentes mais reliées entre elles par cette quête d'identité. Le roman graphique sublime la narration, la succession texte/image prend tout son sens et révèle une maîtrise parfaite de l'intrigue. Les illustrations sont très riches tant dans les scènes de la ville de New-York avec un angle de vue cinématographique que dans les portraits rapprochés des personnages. Le thème de la surdité est très documenté et finement analysé.

Partez à la découverte de secrets de familles, de recherches au Musée d'histoire naturelle pour une très jolie aventure en compagnie de Ben et Rose.

Black out, Brian Selznick, mars 2012.

6 mars 2013

Nelson voyage seul pour la première fois sur un grand bateau. Il va se rendre chez Fubalys, sa correspondante.Il fait la traversée de l'estuaire en deux heures.Il découvre ensuite la famille de Fubalys, qu'il trouve encore plus jolie que sur les photos.Mais une atmosphère pesante se profile. Lors de la découverte de la ville de Brick-City, quelques détails étranges vont intriguer de plus en plus Nelson.

"Elle ne lui en avait pas parlé dans ses lettres. Il pensa qu’il ne serait pas très poli d’y faire la moindre allusion alors qu’il venait d’arriver."

Passée la magie des premiers instants, Nelson découvre que le père de Fubalys a six doigts à chaque main.Puis très vite, il se rend compte que Fubalys a également douze doigts.Il ne dit rien...

Lors d'une sortie à la plage, Nelson est de plus en plus perturbé. Sa correspondante a deux nombrils.

"Il ne voyait plus la ravissante fille qui lui plaisait tant à la lecture de ses lettres, mais une fille différente...Monstrueuse!"

Comment avait-elle pu lui cacher de telles horreurs? devant l'étonnement de Nelson, Fubalys le questionne sur sa difformité à lui, celle de ne pas avoir deux pouces comme tout le monde.

Perturbé, Nelson décide de s'enfuir, de retourner chez lui, là où les gens sont normaux.

Ce petit roman évoque brillamment la question de la normalité en littérature jeunesse.La focalisation externe donne au texte toute sa tonalité humoristique.ce court texte permet la réflexion sur la différence entre les individus et sa chute est surprenante, elle fait tout le sel de ce roman.

Roman lu dans le cadre de l'opération Prix Sorcières 2013.