Mirontaine sta leggendo

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Professeure des écoles par correspondance et lectrice passionnée autant en littérature de jeunesse qu’en littérature générale.

27 mai 2013

L'Odeur du figuier réunit cinq nouvelles dont le point commun est l'évocation dans chacune d'elles du parfum de figuier sauvage. Au delà de cette senteur d'été, ce qui à mon sens relie davantage ces histoires c'est la place du livre pour les personnages de Simonetta Greggio.

La première histoire "Acquascura" n'est pas sans rappeler Le Mépris d'Alberto Moravia et la mise en scène de Godard. La petite phrase en exergue de l'incipit nous le rappelle. C'est l'histoire d'un couple qui chaque été se retrouve dans une bicoque près de la mer. Sous couvert d'innocence et de nostalgie estivales, cette nouvelle évoque avec brio le délitement du couple. C'est très judicieux de placer cette nouvelle en ouverture du livre.

Les nouvelles sont parfois inégales, j'ai moins aimé par exemple "L'année 82" mais beaucoup aimé "Quand les gros seront maigres, les maigres seront morts". L'histoire d'un homme seul, enfermé dans un ascenseur, qui livrera tel un diariste le quotidien de ce huis-clos, en référence à Mario Rigoni Stern. Les thèmes récurrents sont ceux de l'amour, la séparation, la solitude sempiternelle... Ce que j'ai apprécié surtout c'est ce voyage olfactif sous la douceur de l'Italie en plein été. Simonetta Greggio a un très beau talent de narratrice, sa plume est vive, le choix des mots judicieux et j'aime particulièrement les textes plus sensuels comme "Plus chaud que braise".

Chacune de ces nouvelles nous offre la douceur d'une figue tiède, juteuse à souhait, à déguster avec plaisir.

Éditions du Mauconduit

27 mai 2013

L'écrivain et son territoire est un thème qui a accompagné mes années d'études supérieures. Grande admiratrice du talent d'Annie Ernaux, auteure que j'affectionne tout particulièrement, puisqu'elle fut mon enseignante de lettres, puis ma collègue par correspondance, c'est avec grand plaisir que j'ai ouvert cette nouvelle parution aux éditions du Mauconduit.

Retour à Yvetot est la transcription d'une conférence donnée le 13 Octobre 2012, à Yvetot, par Annie Ernaux. Au delà d'une évocation des souvenirs d'enfance, Annie Ernaux développe le phénomène de transformation de ces souvenirs en matériau pour une oeuvre de portée universelle.

L'auteur, depuis la première publication Les Armoires vides (1974) n'est jamais revenue en tant qu'écrivain sur les lieux de son enfance. Pourquoi? "Simplement parce qu'elle [la ville d'Yvetot] est, comme ne l'est aucune autre ville pour moi, le lieu de ma mémoire la plus essentielle, celle de mes années d'enfance et de formation, que cette mémoire-là est liée à ce que j'écris, de façon consubstancielle. Je peux même dire: indélébile".

L'auteure évoque ce lien qui unit sa mémoire de la ville à son écriture. Une mémoire de la ville fortement marquée par l'Histoire, de l'automne 1945 aux Trente Glorieuses. Elle dessine les contours de la ville, qui n'ont jamais existé matériellement mais étaient bien réeles dans le langage "je vais en ville". Se rendre sur un territoire qui n'est pas vraiment celui de la famille Ernaux, là où le culte de l'apparence est à son apogée. C'est "le territoire où, parce qu'on croise le plus de monde, on est le plus susceptible d'être jugé, évalué. Le territoire du regard des autres et donc, parfois, le territoire de la honte."

Elle évoque tour à tour son quartier, son école du pensionnat Saint-Michel, là où elle découvre que l'odeur de l'eau de Javel n'est pas seulement synonyme de propreté mais représente aux yeux de ses camarades, l'odeur de la femme de ménage, le signe d'appartenance à un mileu très simple.

Les passages sur la lecture comme source d'évasion et de savoir nous montrent à quel point il est difficile de faire entrer les livres dans le milieu social où elle évolue. Disposer d'une bibliothèque apparaît comme "un privilège inouï".

On évolue au fil des pages en suivant la transformation de l'auteure par la culture, et par le monde bourgeois dans lequel son mariage la fait entrer.

Comment la petite fille de la rue du Clos-des-Parts, immergée dans une langue parlée populaire va-t-elle écrire, prendre ses modèles, dans la langue littéraire acquise, apprise, la langue qu'elle enseigne puisqu'elle est devenue professeur de lettres? C'est ce cheminement qu'invite à découvrir ce joli livre paru aux Editions Mauconduit (Mai 2013).

"Tout écrivain, même quand il invente une histoire, se fonde sur sa mémoire."

Le Livre de poche

27 mai 2013

"Il y a des corps sans tête, des têtes sans coeur, des corps sans coeur, des coeurs sans tête et sans corps. Nous avions tout. J'ai payé cher le deuil de l'enfance de Gio, mais je serai prête à recommencer."

Retrouver la plume sensuelle de Simonetta Greggio dans Les Mains nues, publié en 2009.C'est à mains nues qu'Emma, la quarantaine, aide les bêtes à mettre bas, soigne les animaux depuis sa campagne isolée. Tout passe par les mains dans ce roman. Les mots décrivent habilement le mouvement des mains, la tâche à accomplir, le sang sur les mains à laver, les mains dans l'utérus de la vache...les mains tendres qui accueillent avec bienveillance Gio. L'adolescent fugueur vient se réfugier chez Emma. Les mains seront tour à tour réconfortantes, apaisantes...mais aussi sensuelles. L'histoire devient fiévreuse tant par la force des sentiments qui unit Emma et Gio que dans sa non-conformité. L'anormalité est partout ou nulle part. Simonetta Greggio crée une atmosphère de bonheur simple dans la gestuelle des mains. Les mains nues sont les mains libres, sans bagues ni entraves. La vie d'Emma, recluse au bord des champs est un cadre agréable pour cet amour sacrilège. La plume est pudique sur cet Oedipe inversé. Ce roman transcende la question du jugement tant la présence permanente des corps et du toucher est la plus simple des manières d'approcher l'âme de l'autre.

Sublime roman.

27 mai 2013

"La pendule sonne vingt coups. Huit heures du soir, sa dernière soirée sur terre. Les minutes se bousculent, le temps se fige un instant puis accélère. Comme son coeur, un poing qui s'ouvre et se ferme, qui va s'affoler avant de se calmer à jamais."

J'étais très enthousiaste de découvrir cette nouvelle parution de Simonetta Greggio, co-écrite avec Frédéric Lenoir. Le roman Nina raconte l'histoire d'Adrien. Il n'en peut plus de la vie et décide de mettre fin à ses jours. Tandis qu'il s'apprête à avaler un mélange de médicaments surgit le souvenir de Nina, son amour d'enfance. Les premières pages du roman relatent les étés sur la côte amalfitaine, lieu des premiers émois amoureux. Il décide d'écrire une ultime lettre à Nina, pour évoquer une dernière fois la puissance du premier amour. Cet amour qu'il a tu, au fil des ans. Les réminiscences d'Adrien dans les premiers chapitres sont teintées d'une luminosité chère à Simonetta Greggio dans ses descriptions, je me suis amusée à reconnaître la typologie d'écriture propre à chacun de ces écrivains, en avouant toutefois avoir très peu lu Frédéric Lenoir. Chaque auteur apporte une touche singulière à cette histoire qui aborde non seulement la beauté des premières amours mais aussi un sujet beaucoup plus lourd qu'est celui de la fin de vie. La question de la réception d'un texte est brillamment abordée dans ce roman. Réception de la lettre par la famille d'Adrien, réception de la lettre par Nina mais aussi réception de la diffusion de cette lettre dans le monde de l'édition. Les auteurs s'amusent également à dépeindre l'envers des maisons d'édition.

La première partie consacrée à l'enfance d'Adrien est magnifiée par les descriptions pittoresques et aussi l'amour de la langue italienne distillée par petites touches. Chaque évènement apporte une dynamique à l'ensemble mais je suis restée perplexe pour la chute du roman et sur certains événements métaphysiques.

Cependant, je garde en mémoire la subtile force du pouvoir d'écriture qui émane au fil des pages. Un très beau roman où la dimension olfactive prend tout son sens.

"Les douleurs, les joies, s'inscrivent d'une étrange manière dans notre mémoire. On pense les avoir dépassées, on s'imagine qu'elles ne nous déchirent plus comme au début, mais il suffit d'une odeur, d'une chanson, pour y replonger."

19 mai 2013

Je ne connais l'auteur qu'en littérature jeunesse mais le titre de cette dernière parution m'intriguait beaucoup. Pour celle qui publie de très beaux textes pour la jeunesse, je suis très surprise d'apprendre que pendant très longtemps, lire l'ennuyait profondément.

"Je n'ai aucun problème avec la lecture. J'ai un problème avec les livres."


Petite, Agnès Desarthe déclarait à qui voulait l'entendre que lire ne servait à rien. Son souhait, dès sa prime enfance, est d'écrire. Seulement, il est difficilement concevable d'écrire sans maîtriser la faculté de lire. Pour une élève appliquée, cette position semble plutôt saugrenue et surprenante. C'est ce cheminement sur la question de la lecture et de l'écriture que nous confie ce récit.

"Lire, c'est mourir un peu".

Elle tente d'expliquer aux lecteurs les raisons pour lesquelles la lecture lui paraît ennuyeuse. En fait, sa préférence repose sur le fait de raconter elle-même des histoires. L'anecdote de sa première tentative d'écrit avec un pseudo plagiat d'une oeuvre de Druon, cette aptitude très tôt à vénérer l'objet livre mais aussi ce rapport malicieux avec les livres viennent truffer le cheminement de notre apprentie lectrice de manière très sincère. Elle a aussi l'humour pour allié. Toute petite, Agnès Desarthe fait preuve d'une imagination très riche. Elle évolue dans un milieu bourgeois et ce désinterêt pour la lecture fut indubitablement une faille dans l'éducation de cette jeune fille brillante qui s'orientera ensuite dans des études de lettres supérieures.

"A chaque livre, j'espère. A chaque livre, je suis déçue. Je veux que ça sonne, je veux que ça ne ressemble à rien, je veux qu'on m'en mette plein la vue".

Agnès Desarthe raconte les sources de cette mésentente avec la lecture. Comment est-elle parvenue à aimer les livres? Elle est prête à "avaler des kilomètres de phrases, pourvu qu'un décalage avec le quotidien s'exhibe". Elle développe longuement sur les livres qui ont su éveiller sa curiosité notamment Tistou les pouces verts de Maurice Druon, puis ensuite les poèmes de Prévert, les textes de Faulkner, Duras, Camus... Dans une dernière partie, elle évoque brillamment le lien entre l'écriture et la traduction. Cette démonstration est riche de sens.

Très jolie confession qui est venue compléter dans ma bibliothèque le petit fascicule de l'Ecole des loisirs. Le parcours de cette enfant sage qui tourne le dos à la lecture est passionnant et servi par une stylistique très étoffée.

Comment j'ai appris à lire d'Agnès Desarthe, Stock, mai 2013.