Mirontaine sta leggendo

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Professeure des écoles par correspondance et lectrice passionnée autant en littérature de jeunesse qu’en littérature générale.

17 octobre 2013

Michela Marzano, philosophe italienne, nous livre dans Légère comme un papillon un texte fort singulier à mi-chemin entre le récit autobiographique et l'essai philosophique.

"Car nous allons tous mal, chacun à notre manière. Et la nuit, je continue de me réveiller en sursaut. Je me prends à penser à tout ce que je n'ai pas fait, à tout ce que je devrais faire et que peut-être je ne ferai jamais. La peur de ne pas y arriver ne me lâche pas. Et parfois, je ne parviens pas à dormir."

Lorsqu'elle était jeune fille, son souhait était de devenir aussi légère qu'un papillon. Forte de sa propre expérience de l'anorexie, elle occulte toute la dimension dramatique du sujet, souvent distillée dans les écrits sur cette thématique. Je pense à Delphine de Vigan, Camille de Peretti, Nothomb qui se diffèrent à mon sens de l'écriture sublimée de Valérie Valère.

C'est toute la différence de Michela Marzano. Loin du rituel du vide et du plein, l'auteur raconte son quotidien auprès d'un père exigeant qu'elle cherche à satisfaire en se comportant en excellente élève.

"C'est le symptôme d'une parole qui ne parvient pas à s'exprimer autrement. D'un désir perdu dans la tentative désespérée de s'adapter aux attentes des autres."

Elle s'intéresse au corps, comme le vecteur d'ancrage au monde. L'anorexie est décrite comme un symptôme de l'idéal du moi, conforme aux attentes des autres. On oublie qui l'on est. Ce récit est celui d'un cri silencieux pour affirmer son propre désir en dépit du regard des autres.

Le récit est fragmentaire puisque Michela Marzano ne décrit pas les souffrances physiques anecdotiques mais accorde de l'importance aux mots qu'elle cherche. C'est un cri de vie, ce souhait de manifester la joie de vivre étouffée. C'est un langage qui surgit à la manière de son propre parcours puisque l'auteur a appris la langue française pour fuir la langue des diktats de son père. Un très beau récit sur la force de l'être sur le paraître pour cette prisonnière du contrôle.

Certains livres vous touchent plus particulièrement et vous aident à arrêter de vous voir à travers le regard du père et de se détacher du scénario que nos parents ont écrit pour nous.

"Ce n'est pourtant qu'en tombant que l'on commence véritablement à vivre. Car on apprend alors à être vraiment présent. A côté de ce qu'il se passe. A côté de ses mots. A côté de notre désir."

19 septembre 2013

Afghanistan, le peloton Charlie, envoyé en mission de paix. Certains mots peuvent faire fuir...et pourtant. Loin du traité d'anatomie, voici ce que nous livre le physicien et romancier Paolo Giordano après l'immense succès de son premier roman La Solitude des nombres premiers, une histoire tragique, celle de la guerre. Les corps et la chair sont omniprésents.Des corps jeunes qui partent pour la première mission de leur vie. Ils partent loin de leurs villes et de leurs vies. Paolo Giordano utilise la guerre comme symbole d'une transformation de ces jeunes gens qui ont entre vingt et trente ans.L'âge des choses vraies, d'une responsabilité naissante.


Les corps deviennent une entité compacte sous le nom de peloton Charlie. Ces corps qui ne font plus qu'un, qui exploseront sous les bombes, comme explose à son tour la notion de groupe. Des hommes comme Cederna, Mitrano, Torsu pleins d'espoirs, de rêves pour l'avenir. Une femme singulière Zampieri, parmi ces hommes, parmi cette guerre qui fera voler en éclats leurs certitudes.

Le Corps humain n'est pas simplement un roman sur la guerre. C'est un roman sur la métamorphose de l'être humain, la transformation. La difficulté de grandir et de passer au monde adulte devient le leïtmotiv de ce roman.

Texte puissant , d'une grande sensibilité sur la natation synchronisée des combats armés et ceux du quotidien. On ne peut que ressentir une empathie profonde pour ces hommes qui ne nous laissent pas indifférents, à l'heure des choix de vie.

6 juin 2013

Première rencontre avec Fatou Diome et je ne suis pas déçue de ce beau voyage et cette expérience enrichissante. Ouvrir Inassouvies, nos vies c'est un peu commencer un dialogue avec Fatou Diome, le temps d'un thé pour infuser nos vies et partager leur saveur. L'espace de la feuille blanche est donné comme une ouverture au dialogue avec son lecteur car "Que garde-t-on des humains? Que gardent-ils de nous? Que reste-t-il de nos rencontres?[...]L'ordinateur véhicule des amitiés dyslexiques. Derrière l'écran, les tendresses sont des mets succulents sous cloche, hors d'atteinte."


C'est l'histoire de Betty, une jeune femme, qui vit un peu en marge de la société, venue d'Afrique, elle s'est installée à Strasbourg. Elle semble désabusée par le quotidien et trouve refuge dans son appartement où elle passe le plus clair de son temps à épier ses voisins de l'immeuble d'en face avec une curiosité toute émoussée. Une sorte de Fenêtre sur cours , mais en beaucoup plus poétique.

L'immeuble est cossu, la population est plutôt riche. Parmi elle, vit une vieille dame qui soliloque avec son chat. Elle tente d'interpréter le quotidien de ses voisins par ce qu'ils donnent à voir depuis l'angle de vue de sa fenêtre. Petit à petit, Betty va apprivoiser Félicité, la vieille dame, veuve de guerre. Très rapidement, à la demande de la famille, Félicité sera internée en maison de retraite.

"Incroyable, ce que l'absence d'une personne qui ne vous est rien peut, soudain, bouleverser l'équilibre de votre vie. Comme la façade des immeubles et les arbres, que nous remarquons à peine en traversant la rue, les visages familiers sont des repères sans lesquels le cerveau se trouve désorienté et opère des vrilles sur lui-même." Betty lui rendra visite, lui fera la lecture.

La plume de Fatou Diome enchante le quotidien, dans son caractère inassouvi: inassouvies nos attentes, inassouvies nos rencontres, inassouvi notre désir de communion avec autrui...

" Nous sommes là, comme des petits poissons jetés dans la nacelle du monde."

Toutes les anecdotes du voisinage de Betty résonnent en nous. On accompagne les pérégrinations de l'esprit de Betty sur des sujets tels que la vieillesse, la mort, l'amour, l'attente... la vie en somme.

"La facilité des échanges est une illusion de notre époque. En multipliant les moyens de communication, la société moderne a rehaussé, proportionnellement, ses barrières."

Des barques se croisent sur l'océan de la vie... Je n'écouterai plus jamais Djelimoussa Cissoko et la Kora sans penser à ce magnifique roman.

Analyser la violence de certains courants de la vie avec Fatou Diome est un formidable voyage poétique. "Tant qu'on respire, chaque jour mérite d'être joliment habillé". Vivre est un condiment étrange, indispensable à toutes les sauces, mais qui ne révèle sa saveur qu'au contact d'autres épices.

27 mai 2013

J'ai découvert la plume de Fanny Chiarello avec son précédent roman publié aux Editions de l'Olivier L'Eternité n'est pas si longue. Les titres de ses romans sont toujours des phrases surprenantes, comme une entrée dans le roman, non exempt de poésie. Dans L'Eternité n'est pas si longue, Fanny Chiarello mettait en scène une jeune femme miraculée, sortie du coma malgré les effets délétères d'une épidémie. Les personnages de Fanny Chiarello vivent toujours un peu en marge de la société. Loin des moutons de Panurge, ils semblent en apesanteur, très éloignés de la réalité.

Dans Une Faiblesse de Carlotta Delmont, j'aime beaucoup la faculté de l'auteur à créer des personnages qui ont leurs propres idéaux. Dans ce roman protéiforme qui réunit tour à tour articles de journaux, fragments du journal intime de Carlotta, pièce de théâtre, on entre dans la vie d'une cantatrice. Dès l'incipit, Carlotta Demont est aphone, elle cherche à retrouver sa voix mais par-dessus tout sa voie de femme. Carlotta est une brillante cantatrice, elle se sent elle-même dans ses rôles. Lorsqu'elle décide de partir à la connaissance d'elle-même, elle se perd. Le roman s'ouvre sur les multiples articles de presse dans les années 20 lors de sa disparition. Elle vit en union libre jusqu'alors avec son impresario Gabriel, un homme plus âgé qu'elle. Mais mentalement, elle est très seule. Elle se projette dans la vie des héroïnes du grand opéra.

Carlotta Delmont incarne-t-elle la faiblesse féminine, la force tragique d'une héroïne ou l'échec d'une féministe? Elle semble engluée dans son sort, vouée à l'échec pour avoir voulu dépasser le conformisme lié à son succès de l'époque. Carlotta Delmont est une femme inadaptée à la société dans laquelle elle évolue. Elle trouve une complice dans le personnage d'Ida, sa gouvernante. Ida semble être à l'origine de sa faiblesse, celle de passer une nuit avec Anselmo, le ténor qui l'accompagne sur scène.

"Carlotta Delmont est allée chercher dans les rues de Paris ce que le Ritz ne pouvait lui proposer, de même qu'elle est allée chercher dans l'opéra ce que la vie ne pouvait lui offrir. Une exaltation si forte qu'elle lui ferait oublier sa condition de mortelle et le caractère éphémère de toutes choses. L'opéra n'est-il pas depuis l'âge tendre le refuge de la si belle Carlotta?"

La beauté des descriptions de l'ambiance bohème des années 1920 est richement documentée, Fanny Chiarello dépeint brillamment le monde de l'opéra. J'ai particulièrement aimé l'analyse très fine du personnage sensible de Carlotta, cette femme qui ne veut connaître le plaisir charnel. Elle ne voit dans la chair que le début de la putréfaction. De cette crainte du corps, elle trouvera un subterfuge en se réfugiant dans le monde de l'opéra, dans son atmosphère de fiction. L'opéra met en scène des passions fortes où l'intellect transcende la chair. Carlotta Delmont rêve sa vie et ne souhaite pas ternir l'amour par l'activité de la chair. L'amour est sublimé dans la passion de l'opéra. Sa disparition reflète la possibilité d'un être incarné, réel et non plus fantasmé.

Voilà un personnage très étrange et envoûtant, mis en scène avec brio par Fanny Chiarello. Toutes les phrases sont ourlées de poésie. La voix narrative est précieuse à l'image de la voix de la cantatrice. Un joli roman sur l'apothéose artistique d'une cantatrice dont la faiblesse la mènera à sa perte. La fin du livre donne tout le sel littéraire de l'histoire de Carlotta Delmont, le rideau se referme sur une pièce de théâtre. Miroir de son succès ou de sa tragédie?

27 mai 2013

J'ai lu Ecoute-moi de Margaret Mazzantini et j'étais heureuse de retrouver sa plume. Je n'ai pas lu Venir au monde parce que le thème ne m'attirait pas forcément.

La Mer, le matin s'ouvre sur l'oasis du Sahara.Comme un écho au Désert de Le Clézio, un petit garçon découvre le lieu. Une ville du désert, très éloignée de la mer qu'il aimerait connaître. Son oasis nous apparaît comme un lieu austère et le climat ne suffit pas pour rendre chaleureux cet oasis. Farid joue avec des camarades même s'il s'amuse davantage avec la gazelle venue du désert. En toile de fond, Margaret Mazzantini présente quelques touches éparses du printemps lybien. La guerre touche les plus faibles.

« Quand il voit Misrata détruite par les tirs, grand-père Mussa arrache du mur l'affiche du Caïd, il en fait une boule et la jette sous le lit. »

De l'autre côté de la Méditerranée, un autre jeune homme, Vito.Il observe sur son île, proche de la Sicile, Lampedusa sans doute, les flux des réfugiés, ayant traversé la mer, bravé la mort pour trouver leur salut. Ils sont malades et affaiblis très souvent, au bout de leur périple. La mère de Vito a grandi en Lybie avec sa famille, avant d'en être chassés par Khadafi dans les années 1970. Elle évoque avec nostalgie ses jeunes années à Tripoli, l'odeur des figuiers, ses premières amours et l'amertume du miel amer de Cyrénaïque(en référence à la conquête italienne de 1911 lorsque la Tripolitaine et Cyrénaïque font partie intégrante de l'Italie*)Vito espère beaucoup lorsqu'il observe cette mer. Il pense à son avenir.

Un roman très joliment écrit sur le thème du déracinement. Malgré le sujet assez difficile, beaucoup d'humanité ressort de cette narration au présent.L'auteur donne un temps de parole à ceux qui d'ordinaire n'en ont pas. J'ai beaucoup appris sur l'histoire commune entre ce pays africain et l'Italie. Leur passé colonial, la vie des colons avant que Khadafi ne les condamne à quitter le pays. Puis, la réconciliation en demi-teinte sous Berlusconi, vingt ans plus tard.

Jamila va emmener son fils Farid loin des violences de son pays en guerre.Ils espèrent regagner les côtes italiennes.Pour le protéger, elle lui fera porter une amulette autour du cou. Vito nous contera l'histoire de sa mère Angelina, une italienne née à Tripoli et expulsée à l'âge de onze ans.

Deux femmes et leurs enfants, brisées par le destin, et leur courage de mère quand le désespoir les assomme.

"Vito regarde la mer. Un jour sa mère le lui a dit. Sous les fondations de toutes les civilisations occidentales, il y a une blessure, une faute collective. Sa mère n'aime pas ceux qui revendiquent leur innocence. Elle fait partie de ces gens qui veulent assumer les actes commis. Victo pense que c'est une forme d'orgueil. Angelina dit qu'elle n'est pas innocente.Elle dit qu'aucun peuple qui en a colonisé un autre n'est innocent. Elle dit qu'elle ne ne veut plus nager dans cette mer où des bateaux coulent."