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T.1 - Tomek

Pocket Jeunesse

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Jean-Claude Mourlevat : «Je lutte avec ce que je sais faire, mes histoires»

«Le meilleur de moi se trouve dans mes livres et c'est dans mes histoires qu'on me rencontrera le mieux» avertit Jean-Claude Mourlevat en page d’accueil de son site. Mais il sait aussi que «les lecteurs ont parfois la curiosité d'en savoir plus», et a bien voulu s’interroger avec nous sur la question récurrente de la liberté dans ses romans.

GWEN BRÉHAULT: La liberté est au centre de beaucoup de vos romans. Quand vous écrivez, tout est-il planifié, ou vous laissez-vous porter par l’histoire? Du coup ce thème récurrent est-il inconscient?
JEAN-CLAUDE MOURLEVAT: Dans mon écriture, rien n'est jamais planifié. Je suis incapable de faire un plan, je n'en ai jamais fait. Les histoires que je raconte s'inventent en avançant. S'il y est souvent question de liberté, ce n’est pas prémédité, mais inhérent à mon imaginaire. Un jour, un élève m'a demandé: pour quoi seriez-vous prêt à mourir? Ma réponse a fusé sans que j'aie eu le temps d'y réfléchir: pour ma liberté. Il y a eu un silence. C'était sorti de moi avec violence et soudaineté, me laissant surpris moi-même. La privation de liberté m'est insupportable. Que ce soit la mienne ou celles des autres. Le spectacle d'un animal prisonnier d'une cage trop petite et qui tourne à en devenir fou me rend malade pendant trois jours. S’adressant à cet animal, Prévert disait: «La liberté… Tu ne connais pas le mot, mais tu la cherches, hein?» Comment pouvons-nous nous arroger le droit d'infliger ça à une autre espèce? Cet empêchement de se mouvoir, de se déplacer. C'est cauchemardesque. Mais cette torture est tolérée…

GWEN BRÉHAULT: La liberté vous semble-t-elle cependant conquérir peu à peu du terrain dans nos sociétés, sur notre planète?
JEAN-CLAUDE MOURLEVAT: Le combat pour la liberté de penser est loin d'être gagné Je crois même que nous perdons des batailles en ce moment. Il est difficile - même dans la France d’aujourd’hui, pays démocratique - de dire: je suis homosexuel, de dire: je ne crois pas en Dieu. On se met en danger, on est regardé de travers. Dans d'autres pays on peut le payer de sa vie. J'ai écrit pour Actes Sud un texte sur Sophie Scholl, jeune résistante allemande aux nazis. Elle a été décapitée en 1943, à vingt-deux ans, pour avoir revendiqué sa liberté de parole face à ses bourreaux. Ses amis et elle écrivaient FREIHEIT sur les murs de Munich, ce qui veut dire LIBERTÉ.

GWEN BRÉHAULT: On constate une différence au sein de vos romans. Dans vos romans jeunes, la liberté est un choix, une quête. Dans "La Ballade de Cornebique", le héros fuit un chagrin d’amour, et se retrouve emporté dans une histoire entre amitié et grands voyages. Dans "La Rivière à l’envers", Tomek ferme son magasin pour suivre une jeune fille et retrouver cette rivière extraordinaire. Et dans "L’Enfant océan", les frères fuient suite à un malentendu, car Yann a cru comprendre que leur père allait les tuer. Mais dans vos romans ados par exemple le sublime "Combat d’hiver", la quête de liberté individuelle s’associe à celle d’un peuple soumis à une dictature. Ou encore dans "Terrienne", Anne découvre un monde fantastique mais dirigiste et étroitement contrôlé. On pourrait dire que vos romans jeunes s’articulent autour de la liberté individuelle, et a contrario les romans ados autour de la liberté collective. Pourquoi cette démarcation?

JEAN-CLAUDE MOURLEVAT: Je n'en avais jamais pris conscience, je me pose peu de questions de cet ordre. Mais cette analyse se défend. L’explication, c’est sans doute que je mets plus volontiers de la politique, au sens noble du terme, dans mes romans pour les ados et grands ados, parce qu’ils ont une réflexion suffisante pour recevoir cela. Il y entre donc des questions de société, et même de civilisation. Il y a des bibliothèques qui brûlent, il y a la culture mise au pas, il y a des barbares, et il y a nous qui essayons de nous défendre, qui luttons pour notre liberté. Je lutte avec ce que je sais faire: mes histoires. Mais je le fais en évitant d’asséner des messages trop lourds ou trop didactiques. J’admire l’image utilisée par Patrick Modiano à ce sujet: il parle d’ «acupuncture» et cela me semble très juste.

Propos recueillis par Gwen Bréhault, librairie L’Oiseau Lire à Évreux