Atria

Conseillé par la Au Pied de la Lettre à Arras

«Je m'appelle Paule Suzanne Laurence Buteau, née à Paris en 1925, lilloise à compter de 1936, puis, en 1939 emportée dans le maelström de la Seconde Guerre mondiale. Voici mon histoire.» Le père de Paule a emmené sa famille en zone libre, là où réside la grand-mère de l’adolescente. Le départ pour le Morvan dans une petite maison isolée change le destin de cette jeune fille qui va découvrir la facette peu glorieuse de certains «résistants». Car pendant l’Occupation, comme à la Libération, de nombreux actes criminels sont commis sans témoins, par des opportunistes peu soucieux de combattre sinon pour satisfaire leurs pulsions et qui, pour beaucoup, ne seront jamais désavoués. Mais ce roman montre qu’en de telles situations, même le plus faible peut trouver en lui une force et une volonté capable de le porter à travers les épreuves. Et Paule va lutter contre la violence, la barbarie de ceux qui, sous le couvert de la Résistance, ont accompli de telles atrocités. Elle saura faire éclater la vérité, réhabiliter les faits et vivre en femme libre. Ce roman autobiographique en témoigne.

Librairie Au Pied de la Lettre à Arras

Paule Buteau : «La révolte prenait le pas sur la peur» (extrait)

Contre Courant, c’est l’histoire de la famille Buteau racontée soixante quinze ans plus tard par la fille, Paule, à qui le romancier Gilles Warembourg a prêté sa plume. En 1939 la famille Buteau est en vacances dans le Morvan dans la propriété de la grand-mère. Le père, Gueule cassée, garde le souvenir douloureux des tranchées. Pacifiste, redoutant la guerre pour sa famille, il décide de ne pas regagner Lille. Les vacances de la jeune fille se prolongeront cinq ans dans la campagne forestière. Cinq ans d’ennui, de rêves d'émancipation et de langueurs adolescentes. La nuit du 4 août 1944, le destin de Paule bascule: la maison familiale est investie par les maquisards, plus bandits que résistants. Ce jour-là, la jeune fille connaîtra l'émancipation par la violence et le crime. Commencera alors pour Paule une odyssée épique pour échapper à la mort. Au cours de sa course pour la survie, la fugitive traversera la ligne de front des Alliés, passera le Rhin, essuiera les bombardements de Hambourg, pour se retrouver dans les prisons de la France libérée en compagnie de femmes compromises. Toujours à Contre Courant...

Extrait :

«(…) Il faisait nuit quand j’ai été réveillée par les aboiements affolés de Dina. Ses jappements sont devenus des plaintes, puis la chienne s’est tue. Très angoissée, j’ai allumé. Il était une heure passée à la pendule de chevet. C’est alors que j’ai perçu le bruit crescendo d’une première voiture, suivi du ronronnement d’un camion ou d’une camionnette. Des claquements de portières et des éclats de voix sont montés du jardin. Nous avions des visiteurs qui, malgré l’heure tardive, s’apostrophaient sans précautions. C’étaient des voix d’hommes surexcités. La clochette du téléphone a tinté brièvement comme si quelqu’un venait de couper la ligne. Les bruits se sont rapprochés encore : il y avait du monde à notre porte… Je me suis levée à la hâte et ai couru jusqu’à la chambre de mes parents qui dormaient encore malgré le vacarme. Réveillez-vous ! Il y a des gens dans le jardin ! Ma mère s’est dressée sur le lit, mais mon père s’est contenté de marmonner d’une voix ensommeillée : recouche-toi, Paulette. Qui veux-tu que ce soit ? Il ne se passe rien.
Au moment où il prononçait ces mots, on a frappé à la porte de la cuisine. Mon père s’est réveillé pour de bon, a enfilé ses pantoufles et est descendu en chemise de nuit sans mettre sa robe de chambre. Dès qu’il a ouvert la porte, nous avons entendu des cris et des bruits de lutte. Affolée, ma mère s’est levée à son tour et s’est précipitée hors de la chambre. Qu’est-ce qu’on va faire maman ? ai-je demandé. Elle m’a regardée brièvement et a disparu dans l’escalier sans me répondre. Je suis restée quelques instants sur le palier : en bas la violence des insultes et des vociférations étaient terrifiantes. Ma mère a crié.

Persuadée qu’on allait tous mourir, je suis retournée dans ma chambre pour passer le premier manteau qui me tombait sous la main et j’ai mis mes pantoufles. Les cris venaient du jardin, côté cuisine. Je suis alors descendue au rez-de-chaussée pour me sauver par le perron et me cacher dans le renfoncement de la porte principale. Il y avait du remue-ménage du côté de la sapinière. Un homme a demandé : que fait-on du bonhomme ? On l’emmène ! Et de la bonne femme ? On l’emmène, a répété la même voix dure. De mon poste d’observation, j’ai aperçu les phares d’une camionnette. Mon père a trébuché et a demandé à remettre ses chaussons qu’il avait perdus. La voix le lui a interdit. Ils étaient bien une dizaine dans le jardin, silhouettes éclairées par intermittence par le faisceau de leur torche. J’ai entendu ma mère s’inquiéter pour moi. Où est ma fille ? On l'a liquidée, lui a-t-on répliqué. Je me suis sauvée du côté opposé, curieusement lucide, sans céder à la panique. Consciente du danger, je parvenais à mobiliser une énergie de survie. J’ai progressé sans bruit le long du mur pour gagner l’arrière de la maison. De là, j’ai patienté un moment avant de courir dans un champ de luzerne distant de quelques mètres. Mais malgré la pénombre, je me suis aperçue des traces laissées par mon passage dans les hautes herbes. J’ai rebroussé chemin en m’attendant à être découverte à chaque instant. Je vais mourir… Je vais mourir. La révolte prenait le pas sur la peur. J’ai même pensé à Hans en songeant qu’il était stupide pour une fille de mourir sans avoir connu l’amour.(…)»