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Conseillé par Eric R. (Librairie La Grande Ourse)14 mars 2023
Difficile, mais nécessaire
C’est glacial. Réfrigérant. Consternant.
Phase 1: « un climat de tension s’instaure, l’homme se met en colère (…). Phase 2: L’homme « passe à l’acte et violente sa victime, qui est traumatisée, humiliée, désemparée ». Phase 3: L’homme « lui reproche ce qui vient d’arriver: « c’est de ta faute » (…). Phase 4: L’homme « s’en veut, présente ses excuses (..). C’est l’épisode « lune de miel » avant de revenir à la phase 1 dans un « cycle de la violence conjugale » parfaitement connu, identifié et qui peut se dérouler sur plusieurs semaines ou dans la même journée. Connu et inéluctable comme une fatalité insupportable mais admis par toute une société.C’est Mathieu Palain qui décrit ce processus, lui qui ne peut écrire que sur le réel, s’appuyer sur la vie de tous les jours. Logique donc a priori qu’il désire s’attaquer à un phénomène sociétal ancien mais heureusement mis en lumière ces derniers mois pour s’y attaquer: les féminicides.
Pourtant en dix ans de journalisme, Mathieu Palain avoue qu’il était « passé à côté ». Il faudra un coup de fil d’un contact dans le milieu pénitentiaire pour le conduire à participer comme observateur à des groupes de parole pour les « violents conjugaux » organisés par la Justice à Lyon, puis à Caen. L’auteur les appelle les agresseurs « pauvres » car les violences faites aux femmes concernent toutes les catégories sociales mais peu de condamnations sont prononcées dans les milieux favorisés. A lire les propos de ces hommes on ressent un terrible malaise, une violente confusion car un sentiment prédomine: le déni. Tous avouent pourtant leur violence mais la plupart n’y voient aucun mal ou simplement une suite logique à un mauvais comportement de leur conjointe ou compagne: elle s’est montrée aguicheuse envers un autre homme, le repas n’est pas préparé quand il rentre du travail. La femme à leurs yeux est toujours responsable de leur violence et leur réaction n’est qu’une sorte de légitime défense. Certains même se voient comme des victimes puisqu’eux continuent d’aimer leurs compagnes, responsables de ne plus les aimer."Ma femme, c'est ma femme c'est pas celle des autres"
Jalousie possessive, alcool, reproduction d’une maltratance de l’enfance, les raisons de ce déni sont multiples mais ce refus de voir la violence comme un mal absolu laisse abasourdi, pantois et inquiet.
« Parce qu’il y a des femmes qui se font violer, on va interpeller les grands costauds? »
On sent les intervenant(e)s extérieurs comme les psychologues un peu découragés devant ce mur qui semble infranchissable. Et les raisons d’espérer rares et fragiles. Cette violence, qui n’atteint pas toujours les situations extrêmes, est ancrée dans nos cultures. Mathieu Palain, lui même, qui ne se sentait pas concerné personnellement par ce problème au début de son enquête se remémore alors un baiser imposé à une amie qui voulait le quitter, comme un sentiment de possession. Même sa mère, lui avoue, avoir eu une fois une situation délicate lorsqu’elle faisait du babby-sitting. Une manière de comprendre que la violence masculine n’est pas uniquement le fait d’individus ignares, incultes, peu éduqués et ayant systématiquement subi des violences dans leur enfance. Ces hommes existent mais ils ne sont pas les seuls.
Publiés sur France Culture, ces témoignages d’hommes suscitent de nombreuses réactions et de multiples témoignages de femmes qui peuvent à leur tour mettre des mots sur des situations communes partagées. Même les femmes sont parfois victimes de cette culture dominante d’un patriarcat ancestral et ce sont les témoignages des autres qui leur permettent de prendre conscience de leur statut de victime.
En terminant le livre de Mathieu Palais, il nous revient cette phrase autobiographique de Laura Poggioli dans son roman « Trois soeurs » (L’Iconoclaste) racontant un parricide commis suite à la violence extrême d’un père: « Pourtant moi quand je bois, je ne roue personne de coups. Je fais du mal à moi. Rien qu’à moi. » Vertigineux et angoissant.