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    20 avril 2020

    Quasi-lipogramme en A minor, ou La réintroduction, Emmanuel Glais, Ed. Maïa, 2020....,

    Hubert-Félix, jeune Breton hésite sur son avenir. Il veut entreprendre, gagner de l'argent. Natif de Pontivy, il vit à quleques kilomètres, à Montfort-sur-Meu, petite localité dans laquelle l'esprit d'entreprise ne peut pas être aisément assouvi. Un peu misanthrope, un peu râleur, un peu pessimiste, il livre ses pensées et ses doutes.

    Le lipogramme est une figure de style qui consiste à produire un texte d'où est exclue au moins une lettre. L'exemple le plus connu -de moi- et pas le plus aisé à lire est "La Disparition" de Georges Perec, sans la lettre e. Emmanuel Glais s'y essaie sans la lettre a. Néanmoins, il prévient dès le titre, c'est un quasi lipogramme, donc avec apparition possible de la lettre interdite, mais ça, je n'en dirai rien.

    Pour ce qui est de ce roman, je l'ai beaucoup aimé, même si par moments, la mauvaise humeur, l'agacement et les diatribes de Hubert-Félix contre l'Europe, l'écologie, le travail, la routine, l'abrutissement du métro-boulot-dodo, la politique m'ont un peu gavé. Je comprends ses hésitations, ses interrogations, ses craintes et ses doutes, son inaction pour ne pas faire comme tout le monde, ses tergiversations... C'est le jeu et le but du roman que de montrer un jeune homme qui ne sait pas comment avancer, qui ne veut pas reproduire le modèle des aînés, mais ses envolées sont parfois un peu pompeuses et irritantes, un peu comme celles d'un ado qui sait tout sur tout et qui, même quand il ne sait rien, a un avis. Finalement, je peux dire que le portrait du jeune homme est parfaitement réussi, Emmanuel Glais a su décrire même l'irritation des autres face à Hubert-Félix. Il provoque et parfois touche lorsqu'il aborde un sujet sensible. Pas mal de réflexions sensées, de celles dont on se dit qu'elles sont frappées au coin du bon sens.

    J'ai beaucoup aimé le texte, je pensais qu'avec une lettre en moins et pas n'importe laquelle, il serait plus nébuleux. Or, que nenni ! On y trouve des passages très bons et même excellents :

    "Noël. Son lot d'hypocrisies. Le ventre plein, le nez poudré de truffes, les Européens, qui le reste du temps ne font rien ni pour leurs droits ni pour les désespérés, refont le monde." (p. 31)

    "Ce qui est sûr, c'est que je suis né vieux, grincheux et cynique. Comprenez donc mon empressement de rester jeune -entre guillemets- je veux dire mon désir de vieillir moins vite, pour mourir moins vieux que prévu. En quelques mots, voici mon credo :

    Être vieux jeu.

    Vivre lentement.

    Refuser le progrès.

    Honnir le présent." (p. 72)

    Mais ce livre n'est pas qu'une suite d'avis, d'emportements, de colères, il est un vrai roman sur le passage à l'âge adulte -que je n'aime pas cette expression, disons à une forme de responsabilisation. Hubert-Félix (hommage à Thiéfaine ?), s'il est parfois énervant est un vrai jeune homme de son époque qui offre de multitudes opportunités mais aussi un fort prix à payer. Le monde actuel nécessite une reconstruction, un changement radical. Avoir vingt ans, c'est se poser des questions sur son avenir, c'est désormais également se poser des questions sur l'avenir du monde, de la planète.