• Conseillé par (Librairie La Grande Ourse)
    10 mars 2020

    Tambouille médiocre des familles

    Dans une magnifique adaptation du roman « Pot-Bouille » d’Emile Zola, Stalner et Simon redonnent vie à une histoire intemporelle d’ascension sociale espérée. A n’importe quel prix.

    Avec cet excellent "Pot-Bouille" Eric Stalner et Cédric Simon, qui avaient déjà adapté le roman « La Curée » utilisent toutes les ressources de leur art pour dépoussiérer une oeuvre publiée originellement en 1882.
    Bien entendu ils restent fidèles au roman, véritable manuel du parfait arriviste dans le Paris qui se transforme sous l’impulsion et les directives d’Hausmann. Alors que les riches se retrouvent dans de nouveaux quartiers sélectionnés, Octave Mouret, 22 ans, débarque dans la capitale, bourré d’ambition et de cynisme. Accueilli chez des amis, dans un de ces nouveaux immeubles « bourgeois », il va loger juste en dessous des chambres des domestiques. Sa volonté va être de vouloir descendre les étages, dans une hiérarchie sociale inversée. Le but à atteindre: le rez de chaussée où trône le magasin de « soieries et nouveautés Vabre « .

    Il y’a le haut et le bas mais aussi le devant et le derrière. Devant, une façade belle, propre, distinguée. Comme sur la magnifique couverture, les fenêtres brillent de mille feux. On donne à voir une image respectable, brillante, dorée. Derrière, des intérieurs cyniques, marqués par l’hypocrisie, la veulerie, les coucheries. Car plus que l’argent c’est le sexe qui anime ce « joli » monde corseté, où les redingotes du meilleur tissu côtoient les imposantes robes à crinoline. Zola avait décrit un univers féroce et violent. Les auteurs de la Bd avec beaucoup de talent, insistent sur cette violence tamisée par les bonne manières. Les femmes minaudent lors des soirées mondaines mais leurs visages se transforment en portraits monstrueux et vitupérants, une fois les lumières éteintes. Les hommes aux rouflaquettes et aux barbiches si soignées, le petit doigt en l’air, se vautrent et vomissent sur le tapis des bordels quand la nuit arrive. Les dessins de Stalner qui n’hésitent pas, comme en zoomant, à grossir les traits, font merveille. L’ignominie est dans les bouches déformées de haine, comme dans celle de l’oncle Narcisse Bachelard, dont chaque apparition donne la nausée. Le cynisme est dans les regards sournois magnifiquement suggérés, comme dans celui de Mouret dont on devine dès la première page l’hypocrisie séduisante.
    Grâce au talent des auteurs, la Bd et son vocabulaire graphique enrichissent le texte de Zola. Si les portraits physiques sont superbes de réalisme et d’horreur, une trouvaille remarquable dès le début de l’album agrémente la lecture. Chaque logement se voit attribuer un code couleur qui accompagne les habitants. Le doré colorie ainsi le commerce du rez de chaussée alors que le marron terne illustre les logements des domestiques sous les toits, et que le mauve s’accorde aux Josserand. Le sens de lecture est aussi parfois modifié et inversé, comme lorsque les « bonnes » racontent les ragots de l’immeuble. On monte, on descend, au gré des phylactères, tels les commérages ou la hiérarchie sociale, dans la cour intérieure. 

    Avec ses mots, Zola établissait une description féroce de son temps. Avec les dessins, Stalner et Simon accroissent cette férocité et mettent au goût du jour une oeuvre qui surpasse le temps. L’hypocrisie du vernis social n’a pas d’âge.

    Eric